Avant Propos

 

Il y a quelque temps, j'ai raconté à une nièce que la Roumanie a vendu des ordinateurs à la Chine et, plus encore, que nous, les Roumains, leur avions enseigné les premières notions d'informatique.

Mes affirmations l'ont  fait sourire, avec incrédulité.

Pourtant, c’était historiquement vrai.

Et là je me suis rendu compte qu'il y a peu des gens encore en vie qui savent que dans les années 70-80 nous étions les premiers à vendre des ordinateurs de troisième génération à la  Chine. 

Voilà pourquoi j’ai décidé de mettre en ligne le journal que j’ai écrit à l’époque  et même  de prendre le temps à le traduire en français. 



Car oui, c'était une époque faste pour notre industrie électronique et  pour l'informatique, époque  pendant laquelle nous avons vendu en Chine, et pas seulement en Chine, des ordinateurs Felix C256, une variante de l'ordinateur français IRIS-50 (comparable aux ordinateurs IBM 360), construite sous licence à partir de 1968,  améliorée ultérieurement par des spécialistes roumains. .

( Pourquoi Félix ? Dacia Felix était le nom de l'ancienne province romaine sur l’actuel territoire de la Roumanie. " Parallèlement à la licence française IRIS 50 pour les ordinateurs, la Roumanie a également acquis la licence Renault 11 pour les auto-tourismes. Alors ils ont donné le nom  "Dacia" aux voitures et "Felix" aux  ordinateurs. Les voitures existent encore et on peut dire même qu’elles triomphent sur le marché international, la fabrique, ou plutôt les fabriques d’ordinateurs ont été rasées, car le terrain avait la malchance d’être situé à Bucarest, dans une zone devenue résidentielle. Une affaire beaucoup plus rentable pour « les profiteurs de guerre », les oligarques roumains).

Et oui, c'était nous,  les Roumains, qui avons enseigné aux Chinois les premières notions d'informatique. Et à cette époque de grands groupes de Chinois sont venus à Bucarest et réciproquement, de grands groupes de Roumains ont été envoyés en Chine pour former des ingénieurs de système et autres informaticiens.

"Les ordinateurs roumains étaient utilisés dans les académies des sciences, les universités, les usines et les entreprises en Chine. Aujourd'hui encore, les scientifiques chinois se souviennent des ordinateurs Felix roumains », déclarait  Xu Feihong, ambassadeur de la République populaire de Chine à Bucarest.

Je ne sais pas pour les Chinois, mais en tout cas, je peux affirmer avec certitude que les spécialistes roumains qui ont participé à cette expérience unique se souviennent de cette période,  peut-être même  avec plus de nostalgie que les éventuels Chinois qui ne l’auraient pas oubliée!

J’ai eu  la chance de faire partie de ces spécialistes roumains.  Tant pour les cours à Bucarest, que pour ceux d’en Chine, à Pékin et Tianjin. Et à plusieurs reprises : en 1979, 1983 et 1985.

J’ai écrit ce journal, que je viens de traduire en français,  lors de mes séjours en Chine et je dois dire que pendant mon premier voyage  je n'avais que 30 ans, la Chine étant pour moi une terre lointaine et étrange, voire un peu effrayante, avec sa Révolution Culturelle sur laquelle j'avais des informations  vagues et assez troublantes.

  Des informations vagues et inquiétantes et sur d’autres guerres et révolutions dans ce grand continent qu'est l'Asie, avec ce qui se passait à l’époque au Vietnam, en Iran et dans d'autres pays du Golfe.

Il faut aussi se rappeler que nous vivions dans un pays où les informations étaient soigneusement filtrées et où, de toute façon, au moins 95% des informations qui nous parvenaient concernaient la Roumanie et son très célèbre dirigeant d’alors que je m'abstiendrai de nommer !

D'ailleurs, je n'avais même pas de télévision  et je n'étais abonnée à aucun journal et à juste titre : pourquoi devrais-je m'abonner ? En tout cas, les informations que j'aurais pu recueillir auprès  de ces sources me parvenaient quand même dans les nombreuses réunions auxquelles je devais  assister.

 Et pour le reste, je me fiais à la transmission orale des informations qui nous parvenaient par des voies plus ou moins illégales.

Disons que cela explique un peu la naïveté de mes observations... mais comme je n'avais pas l'intention de faire un traité d’histoire ou philosophique, mais seulement de retenir, avant tout pour moi-même, mes impressions, je vais arrêter de m'excuser !

 Bonne lecture à tous ceux qui veulent me lire.

La Chine en 1979.

Pékin     le 22.10.1979 à 23h50 

Le Voyage en avion

Non, ce n’est pas la première fois que je voyage en avion, mais c’est la première fois que je dois faire un si long voyage : plus de 15 heures jusqu’à Pékin, avec une pause de deux heures  à Karachi pour changer l’équipage et faire le plein de carburant. 

Et personne de ma famille pour m’accompagner à l’aéroport, bien sûr !

Mais, je suis là : alea jacta est ! Je suis donc partie vers l’embarquement  mais je me suis arrêté un moment devant la porte en attendant un signe, qui n’est pas arrivé.  Convaincue que c'est de mauvais augure, je m'avance le cœur plein de doutes vers la porte où sont contrôlés les passeports et les cartes d'embarquement. Je me dirige vers un banc, seule parmi de nombreux groupes qui apparemment vont voyager dans le même avion et j’allume mon éternelle cigarette, juste pour me donner une contenance et pour me remonter le moral...

"Les passagers du vol Karachi - Pékin sont priés de se rendre à la porte numéro 2 pour l'embarquement".

Après avoir traversé plusieurs couloirs et descendus des escaliers pendant  environ 20 minutes, me voilà dans un bus direction piste de décollage. Je reste à côté de la porte, en pensant que les derniers seront les premiers, ce qui s'est évidement passé ! J'ai eu donc l’embarra du choix pour trouver une place au hublot et j’ai suivi des conseils plus ou moins avisés pour choisir une place à la  queue de l'avion ;  mais ma joie s’est vite évanouie après  l'arrivée d'un personnage  gros, boutonneux, aux mains craquelées, peut être pakistanais, sinon indien, qui amenait avec lui un autre personnage presque identique, seulement un peu plus jeune et plus maigre, aux cheveux longs et ongles jaunies, tous deux occupant plus que tout l’espace qui leur était octroyé... 

Me voilà donc recroquevillée dans un coin, avec les pieds du type plus jeune sur ma jupe, moi qui ne connaissais personne dans cet avion archiplein.

Leur présence qui bloquait aussi ma sortie vers l'allée entre les rangées (étroit  et inconfortable cet avion!) outre le fait qu'elle me dérangeait sur  les bords, me faisait aussi un peu peur, je ne sais pas pourquoi.

L'avion décolle, je contrôle la peur que j’aurais éventuellement pu avoir et entame une conversation avec un sportif hongrois (de Roumanie) assis sur le siège devant moi, en faisant attention que le gars ne puisse pas penser que  je lui fais des avances...😌

Premier repas : un sandwich au salami de Sibiu, une petite tranche de bacon fumé, une tomate, du fromage, un steak en sauce aux pommes de terre nature, je mange tout ce qui n'est pas cuit, y compris la pomme dont j'ai oublié de parler. En cours de route il y aura encore quatre repas du même calibre, avec des gâteaux, du beurre, de la confiture, du café, de la bière, du pepsi, etc... Mais, par précaution,  j'évite de trop manger et surtout j'évite de manger des sauces et des crèmes...

Nous passons au-dessus de villes qui ressemblent exactement aux villes de 1001 nuits : la nuit et le ciel étoilé les font ressembler à des îles enchantées sorties de la mer, une fascinante dentelle de lumières disposées en guirlandes joliment groupées...

Je découvre qu'il s'agit d’Istanbul, Bagdad et d’autres pays du golf...

Enfin, après environ 7 heures de vol, nous atterrissons à Karachi.

Il est 2 heures du matin, mais la température est encore étonnamment élevée pour une fin d’octobre.

La première chose qui m'étonne c'est l'homme qui est venu à bord de l’engin  pour faire le plein d’essence pour notre avion... Vêtu sommairement de blanc, presque nu, avec une barbe blanche et un turban blanc sur la tête...

Nous montons dans une voiture avec banquettes latérales, un peu sale, qui ressemble à ceci : 

Nous sommes au Pakistan.

A l’intérieur de  l'aéroport  il y avait une odeur étrange que je ne peux pas identifier. Cela ressemblait à l'odeur des maisons avec le sol en terre-battue à la campagne, où l'argile est fraîche et la pièce mal aérée !

La première impression, beaucoup d'hommes avec  la peau d’un marron foncé, portant des draps et sinon presque nus. 

La salle d’attente, où je suis entrée sans arrière-pensée, était rectangulaire, avec les bancs alignés en deux rangées l’occupant presque entièrement, sauf les deux vastes lieux réservés pour la prière et sur le mur du fond, plusieurs vitrines, où étaient exposées toutes sortes d'objets et surtout  une multitude de bijoux en or…

Et tous ces hommes, car vraiment je n’ai vu aucune femme, me regardaient avec insistance et d’une manière que je percevais comme critique, pour ne pas dire hostile…

Je dois avouer  que du coup j'ai eu peur et je me suis dépêchée d’éteindre la cigarette qu’avec inconscience  j'avais allumée en descendant de l'avion. Les Roumains, curieux, s'étaient dispersés à tous les étages (en fait un seul) et par conséquent je me suis de nouveau retrouvée seule et regardée avec curiosité par ces  hommes qui m'entouraient de toutes parts.

Je vois un Roumain à côté d'une vitrine et je m’approche de lui et lui pose une question en faisant semblant d’être ensemble,  pour échapper à ces regards insistants.

 Ma conclusion immédiate : j'aurais définitivement peur d'être seule dans ce pays, avec ces gens qui marchent presque nus et qui s'arrêtent brusquement, s'assoient sur leurs genoux et commencent à frapper le sol avec leur tête ! Moi, qui étais nait et éduquée dans un pays où pratiquement la religion était interdite et en tout cas fortement combattue, j’étais profondément choquée et j’ai poussé un soupir de soulagement lorsqu'on nous a dit que nous devons nous rendre au point d'embarquement.

Au fait, je tiens à dire que dès les premiers instants on compte avec impatience les heures qui nous restent jusqu'à Pékin, car c'est extrêmement inconfortable de voyager coincé dans un fauteuil comme celui-ci, sans grandes possibilités de mouvement, toute une nuit et quelques heures en plus.

D'ailleurs, c'est aussi la raison pour laquelle maintenant (je crois qu'il est déjà 24h45 ici) coupe court à mon histoire: demain à 8h30 je dois être à la porte de l'ambassade pour une visite au mausolée où la dépouille de Mao est exhibée,  après quoi aura lieu le banquet de bienvenue.

Comme je le disais, il est déjà minuit passé car jusqu'à présent j’ai du « faire la fête »  avec mes collègues qui sont déjà à Pékin depuis plusieurs semaines et s’ennuient fortement les soirs. Bref, mes collègues sont des "criminels" mais je ne me soumettrai pas à ce régime  meurtrier, en étant prête à endurer les éventuelles persécutions futures pour ma liberté personnelle ! Non, mais !😜


***

Il est déjà très tard, j'ai essayé de dormir et n’y suis pas parvenue : le café, les igarettes, (même si en fait je n'ai fumé qu'environ 6 ou 7 cigarettes pendant tout le voyage...) émotions, nerfs, plus un cafard de la taille d'une grosse courtilière  que j'ai vu dans la chambre d’un de mes collègues ici, plus le changement de fuseau horaire, tout cela m'empêche de dormir...  La suite  m'inquiète.

Bon, continuons : dans l'avion après Karachi j'étais contente à l'idée que je serais enfin seule, les deux personnes à la peau marron-olives nous quittant.

Mais je n'ai pas eu cette chance !

Immédiatement, deux Roumains se sont plantés à côté de moi et ont tenté une drague légère, mais se sont rapidement convaincus qu'ils n’auraient pas le succès attendu, ce qui les a obligés  garder une distance respectueuse.

Quand-même, me revoilà de nouveau coincée  dans mon coin, me débattant avec la fatigue, avec les douleurs dans les côtes et la chair, (heureusement je n'ai pas grand-chose comme chair, mais mes fesses ont souffert, les pauvres...) et avec des affreuses engourdissements.

J'ai vu l'Himalaya en luttant contre le sommeil,  parvenant à peine à  ouvrir les yeux de temps en temps pour regarder  ces hautes montagnes, aux crêtes abruptes et dénudés et aux vallées arides, sans un brin de végétation, abracadabrantes, l’ensemble ressemblant  à un cerveau humain pétrifié à jamais, avec des canyons et des falaises couvertes de neige qui par endroits semblaient quand même assez bonnes pour le ski.  

En tout cas impressionnant ce voyage qui dure des heures et des heures au-dessus des montagnes,  puis sur le plateau du Tibet et le désert d’Ordos qui semble, ou même il l’est,  peut-être, un prolongement du dit plateau... En tout cas, vu du haut de nos  11000 mètres,  la couleur et l'aspect général (moins les sommets et les falaises enneigées) sont similaires.

* * *
Je n’arrive toujours pas à dormir! 

Pour revenir à mon histoire,  impressionnante cette route interminable sur des étendues qui semblent totalement dépourvues de végétation ou de tout ce qui pourrait paraitre une intervention humaine, jusqu'aux environs de Pékin, où les dessins géométriques, même si la même sensation générale de brun est toujours présente, m’a fait comprendre que ça y est, nous sommes enfin arrivés dans des zones peuplées. 

Suivent des cours d’eaux strictement linéaires et les maisons à l’évidence en terre-battue et enfin l'aéroport.

En vain j'essaie d'ouvrir les yeux comme des soucoupes: je suis tellement fatiguée après ce voyage infernal de plus de 14 heures que plus rien n'impressionne (au sens photographique) ma matière grise, comme si elle-même était engourdie.

Il y a la grande salle d’attente de l’aéroport, délabrée et  semblable  à un hall d’usine, il y a la délégation chinoise venue pour nous recevoir et aussi le représentant de l’entreprise d’exporte roumaine, « ELECTRONUM" et enfin nous nous dirigeons vers le petit bus qui nous amène à l’hôtel, dans l’enceinte de l’ambassade de Roumanie à Pékin. 

 Sur le chemin de l'hôtel, avec mon esprit critique soudainement réveillé,   je remarque déjà, à travers la  fenêtre du bus, dans les groupes de chinois qui travaillent au bord de la route, que seulement deux ou trois travaillent vraiment, les autres parlent, pareillement à ce qu’on peut  voir parfois sur nos chantiers.

On est dans la Chine d’après Mao, mais quand même, pas encore la Chine de nos jours… ! 

Je remarque aussi les maisons. Mais je n'ai toujours pas l'impression de désordre ou de misère que j'attendais. Seule l'impression de Baragan - enfin, de Baragan tel que je l'ai vu il y a plus de 15 ans, une plaine terriblement  plate et sèche, avec des maisons en terre-battue etc...

Pour le reste, aujourd’hui je n'ai vu à Pékin que la zone des ambassades qui, jusqu'à preuve du contraire, semble être un quartier  très chic et civilisé, avec des espaces verts, de jolis bâtiments, même assez hautes, etc.

Mais voyons. C'était une première impression : il vaut mieux s'attendre au pire, car au final on se rend compte alors que le diable n'est pas vraiment si noir. Je répète : attendons voir !

Maintenant je vais dormir !

Mardi, le 23.10.1979

J'ai peu et mal dormi. Je ne me sens pas bien du tout. Je pense que je dois quand même réduire les cigarettes et surtout le café.

Encore quelques mots  sur les Pakistanais : à la première vue ils donnent l'impression d'être plus minces que les Chinois, à cause de leurs têtes plus petites et aux traits fins, à cause de leurs corps élancés et félins.

A l'aéroport de Karachi, j'ai vu de très belles femmes (légères ?!) et des hommes, beaux comme dans les films. Soit dit en passant, tous étaient pieds nus et avec des vêtements (même quand ce n'était pas des « draps ») froissés, voire sales. Bien sûr, je peux imaginer que ce n'est pas une généralité, mais quand même, qui voyage en avion ?

Aujourd'hui, à 8h15, je devais être à la porte de l'ambassade pour me rendre au Mausolée où le corps de Mao est exposé au public. Nous étions quatre filles et un minibus Toyota nous attendait, avec un guide chinois parlant le roumain.

Premier contact avec l'immense avenue Chang'an, littéralement « la voie de la paix éternelle», laquelle traverse la ville d'est en ouest, du district de Tongzhou au district de Shijingshan, en passant par la célèbre place Tian an Men, sur une longueur totale de 46 kilomètres et un largeur variant de 60 à 120 mètres.

Quatre voies dans chaque sens sur lesquelles les voitures, peu nombreuses et des longues autobus, peinent à se frayer un chemin parmi l'incroyable foule  de vélos et de piétons, qui circulent sans tenir compte les uns des autres, dans un désordre indescriptible, où l'inévitable bruit strident et continu de klaxons et des cris s'accompagnent de discours sévères prononcés à travers des mégaphones ultra performants par les indispensables miliciens.

Notre chauffeur s'est avéré être un as  de compétence  et de prudence, tel que les collisions avec des piétons qui ont subitement décidé de traverser la rue, ou avec des cyclistes qui se sont faufilés tant bien que mal parmi les voitures, en changeant parfois brusquement de direction, ont été finalement évitées, à notre grande satisfaction.

En chemin, j'ai vu divers bâtiments officiels et aussi le grand hôtel  Pékin, mais je n'ose pas dire les impressions. J'attends de voir un peu plus pour me faire une opinion éclairée et écrire avec l'esprit plus serein. Juste une remarque concernant mon étonnement quand j’ai vu  un homme accroché au tronc d'un arbre : il paraît que c'était sa gymnastique matinale.

Au Mausolée, situé comme on sait au centre de l'immense place Tian'anmen, face à l'entrée du Palais d'Hiver au-dessus de laquelle trône le portrait de Mao et flanqué à l'ouest par le Palais de l'Assemblée du Peuple et à l'est du Musée National, il y a déjà une mer de gens alignés qui attendent disciplinés leur tour.

Nous nous sommes alignés  nous aussi et nous avons été emmenés près de l'entrée, devant un groupe bruyant d'Américains. Vous l'aurez compris, comme en Roumanie, les étrangers sont prioritaires et... tapageurs, mais ici une organisation serrée permet que tout le tour  ne dure qu'environ 15'.

Nous entrons donc presque immédiatement dans le bâtiment. Marbre blanc, gris, rose, rouge, là je découvre sur Internet que "pour la construction du Mausolée, qui était prêt en moins d'un an, des matériaux ont été amenés de toute la Chine : du granit de la province de  Sichuan, de la porcelaine du Guangdong, de la terre de Tangshan, des pierres colorées de Nanjing ou du quartz des monts Kunlun".

Dans la première salle, la statue haute de 3 mètres de Mao assis dans un fauteuil, sculptée en marbre blanc, se reflétant éclatante  (éclairé artistiquement) sur le sol qui brillait comme s'il était couvert de larmes.  Sur le mur derrière la statue est apposée une grande tapisserie large de 23,74m et haute de 6,6m, représentant "La vaste patrie", avec ses montagnes et rivières, ou la mer en tempête, sur les bords de la salle des pins amenés de toute la Chine, symbole de mémoire et de gloire éternelle : c’est « la salle des activités commémoratives ».

 Dans la salle de « l’hommage à la dépouille », sur un socle en forme d’échelle, maçonné en granit noir, dans son cercueil  en cristal,  Mao lui-même, momifié (j'ai encore l'estomac serré quand j'y pense), au visage d'un jaune intense que je ne peux pas décrire.

Même si "des ingénieurs, des chercheurs et des médecins aient travaillé ensemble pour harmoniser les couleurs, les angles et l'intensité lumineuse, afin que la couleur de la peau soit la plus proche possible de la couleur du visage d'une personne vivante", pour autant, en ce qui me concerne,  il ne me semble pas que c’est une  réussite !

Dans une file indienne nous avons fait le tour de la pièce sans être autorisés à nous arrêter ni à prendre des photos (de toute façon je n'ai pas d'appareil photo) en regardant de loin le cercueil en cristal et son contenu macabre : je ne pense pas que l’idée de faire ce pèlerinage  aurait traversé mon l'esprit si je n'étais pas plus ou moins obligée (en fait plus !), mais il semble que j'étais une privilégiée : déjà que je n'ai pas eu à attendre dans cette immense file de centaines de personnes. En plus il parait  que Mao lui-même n'est exposé que quelques heures par jour, pour éviter d'endommager la dépouille : l'embaumement étant effectué selon les méthodes utilisées par les Soviétiques, l'état de conservation est jugé médiocre.

Au contraire, il semblerait que le cercueil, ou plutôt le sarcophage dans lequel Mao est exposé, soit ultrarésistant, ayant subi des essais sismiques pour des tremblements de terre d'une magnitude de 8 degrés sur l'échelle de Richter.

Voilà !

Le banquet est passé. Je pensais que Coco exagérait, que Luminita faisait des manières, mais non : je me sens vraiment mal ! Les odeurs, le goût, parfois même l'apparence de la nourriture, puis les odeurs dans les magasins et dans les rues, me rendent  malade pour de bon! Je peux imaginer ce que ça aurait été si j'étais venu ici pendant l’été !

Après avoir  parcouru  les rues de Pékin pour aller au  banquet, nous nous sommes arrêtés devant un immeuble à deux étages, à la façade grise, délavée, poussiéreuse (quelles briques de terre non cuites utilisent-ils ?). 

Nous avons  gravi un large escalier en ciment, jusqu'au deuxième étage, avec les odeurs pénétrantes de rigueur, puis nous avons traversé un couloir, parmi des gens sales, des femmes lavaient de la vaisselle (chinoise) dans des bassins plein de crasse et  finalement nous sommes entrés dans une pièce avec du ciment au sol, avec des murs peints en vert à environ 1,50m du  sol...  comme dans une cantine ouvrière dans une ville provinciale  roumaine.

Aux murs quelques estampes, quelques fauteuils autour de deux tables sur lesquelles trônaient des vases avec des fleurs en plastique poussiéreuses. Au milieu de la pièce une table ronde entourée de chaises, le tout assez minable, si j’ose dire...

Bref, nous étions plusieurs : il y avait  ma collègue Doinita, (pour elle c'était le banquet de départ, car oui, un banquet était organisé à l'arrivée d'une délégation du pays et un autre au départ !), un garçon de Cluj, le traducteur de Bucarest plus un Chinois et une Chinoise qui étaient  des étudiants...

Nous nous sommes assis dans les fauteuils et du thé au jasmin nous a été servi, (comme à Bucarest), par une fille avec un tablier court, lequel autrefois, je ne sais pas quand, avait été peut être blanc. Pendant le repas elle  est apparue avec un autre tablier, cette fois très propre, d'où l'on peut déduire que nous étions arrivés trop tôt et donc les bassins pleins de crasse &co n'auraient pas dû être vues !

Malheureusement, je les ai vus !  J'ai pris déjà du torecan et du mexaform, mais en vain : je me sens mal, je me suis visiblement dérangé l’estomac !

Je ne devrais pas décrire le banquet maintenant, car je suis toujours malade et je pourrais avoir encore plus de mal ! Je reviendrai donc avec la description du banquet demain. Maintenant, je devrais essayer de dormir, car  tout de même, demain, à 7 h 45, je dois être à la porte de l'ambassade pour aller en cours! J'entends qu'il y a beaucoup de misère là-bas aussi!

Ouf!

Mercredi, le  24 octobre 1979

Non, je n’ai pas eu l’impression d’une si grande misère… Une ambiance acceptable laquelle ne m'a d'ailleurs pas gêné. Oui, l'odeur de nourriture dans les escaliers, en partant, mais pas vraiment insupportable.

Le cours s'est très bien déroulé, j'ai le temps de lire mes notes, le traducteur est très bon (encore une fois j'ai eu de la chance !) je suis sûre que je vais me débrouiller, y compris avec ORDO (Oracle Ordonnancement) qui n'est pas mon logiciel.

Ils étaient très contents des dessins que j'ai faits au tableau, (les maisons) et ils aiment beaucoup les exemples que je leur donne : l’exemple avec les chaises, puis avec les vélos fabriqués à Pékin pour Shanghai et Shenyang, etc... Mon traducteur m’a dit que j'explique si clairement que même lui, qui n'est pas un spécialiste, comprend. En parenthèse soit dit, il a l'air très futé !

Donc tout s'est bien passé. Mais c'est très fatigant ! Surtout à midi, vous êtes horrifiés à l'idée de retourner pour presenter des cours dans l'après-midi !

Comme l'eau n'est pas potable (on nous a conseillé de la faire bouillir pour pouvoir la boire), je suis  allée  au supermarché de Friendship (un nouveau magasin ouvert pour les étrangers dans le quartier des ambassades, donc pas très loin de notre hôtel) et j’ai acheté de la bière ! En plus de ça, des pommes de terre, des saucisses et du pain.

Ce n'est pas aussi bon marché qu'on pourrait le penser : si 1 yoan = 10 lei (comme on me le dit) pour un salaire moyen de 500 lei, 45 lei donnés pour si peu de nourriture me semble beaucoup !

J'ai bu une bière mais j'ai encore soif. Tant pis, au moins je n’ai plus mal à l’estomac !

Le traducteur m'a demandé ce que je voulais visiter. Il m'a proposé de m'accompagner au musée d'histoire, au palais d'hiver et d'été, etc...

  Ce soir, je me suis installée dans le nouveau studio que l'administration a mis à ma disposition.

J’ai fait un  ménage de grands jours : aspiré, essuyé, lavé, récuré (surtout dans la salle de bain).

Tout brille de propreté ! Je pousse un soupir de soulagement : au moins ici je ne dois plus craindre de m’assoir  n'importe où, de mettre la main sur n'importe quoi.

Je ne savais pas que j'étais si sensible, mais c'est un fait : depuis trois jours j'ai eu mal à l’estomac…

Le banquet aussi est à blâmer, avec ce genre de nourriture où quelque chose de brun flottait dans une sauce épaisse, elle aussi  brune et que, par politesse, je me suis  forcée à manger.

 Personne n'a pu m'expliquer de quoi il s'agissait, bien qu'il semble qu'il s'agissait d'une nourriture vraiment exceptionnelle, qu'ils proposent à leurs convives les plus estimés !

 J'ai décidé qu'à partir de maintenant, non seulement en Chine, mais partout où j'irai, si quelque chose me paraît "douteux", j'éviterai tout  simplement d'en manger : plutôt que d'être malade pendant trois jours, mieux vaut paraître grossière ou snobe...

Jeudi, le  25 octobre 1979

Ce soir, je suis allé au théâtre. Une salle absolument moderne, comme un cinéma avec une très grande scène,  climatisée, mais avec des sièges non rembourrés.

La salle, archipleine !  La grande majorité des spectateurs sont des Chinois,  habillés comme d’habitude dans la rue, tous en stricte tenue Mao. Mais il y a aussi beaucoup d'étrangers : à la fin j'ai vu une Chinoise interviewer une Anglaise.

N'ayant pas de photo de cette salle, ni des autres salles dans lesquelles j'ai eu plus tard le privilège d'assister à diverses représentations, j'insérerai ici une image à peu près similaire trouvée sur Internet, avec une défilée Cardin à Pékin,  dans la même période post-Mao, la salle dans laquelle se déroule étant bien sûr beaucoup, beaucoup, beaucoup plus petite!



Le spectacle s'intitule "Pluie  des fleurs sur la route de la soie", ou, en anglais "Silk Road Flower Rain", ou encore, dans la traduction de mon  interprète, "sur la route de la soie il y a des fleurs de l'amitié entre les peuples". 

En fait,  c'est un  drame dansé qui raconte l'amitié entre un artiste chinois du nom de Zhang et un marchand persan, ainsi que l'histoire d'amour entre la fille de Zhang, Yingniang, et le marchand.



 

 C’est un drame  national dansé à grande échelle, avec pour toile de fond la prospérité de la dynastie Tang en Chine, s'appuyant sur des chansons et des danses folkloriques chinoises, mais aussi des autres pays sur la route de la soie.

 Il s'agit d'une création récente des chorégraphes de l'opéra du Gansu, dirigée par Zhao Zhixun et inspirée des fresques de Dunhuang et des grottes de Mogao, présentée sur scène pour la première fois dans ce mois d’octobre 1979, à l'occasion du 30e anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine.

 C’est une grande première à tous les points de vue. 

Déjà un tel spectacle deux ans après l'horrible «révolution culturelle » où la Chine a fait tabula rasa sur toutes les valeurs culturelles chinoises traditionnelles, au nom de la lutte contre « les quatre vieilleries", constitue une première en soi.

 Et c'est aussi une grande première pour moi, parce que jusqu'à présent je ne connaissais pratiquement rien aux ballets, aux danses et musiques traditionnelles chinoises et je peux dire que je ne connaissais même pas grand-chose sur la Chine en général. 

 Sauf peut-être les livres de Pearl Buck, bien sûr, car sinon, même si j'avais entendu parler du petit livre rouge, je le considérais comme une sorte de folklore, en tout cas pour moi incompréhensible. 

Et je ne parle pas de la Révolution Culturelle, dont le peu d’informations qui me parvenaient aux oreilles me faisaient dresser les cheveux sur la tête... 

Mais, je reviens au spectacle, car il faut que je le décrive rapidement pour ne pas l'oublier ! 

Les lumières s'éteignent et un rideau diaphane se déploie sur la scène, derrière lequel, dans une atmosphère grise, bleue, verdâtre, comme dans un rêve, évoluent avec grâce et en parfaite synchronisation deux groupes de trois jeunes filles chinoises, avec des mouvements fins et délicats des mains et des doigts et des postures d'une extrême élégance, à peu près comme dans la photo que j'ai trouvé sur le site www.panarmenian.net



Sans rien savoir des fresques qui ont inspiré ce spectacle, lorsque j'écrivais dans mon journal,  j’exclamais pleine d'admiration "ce sont des gestes d’estampes, en fait  tout le tableau ressemble à une estampe chinoise!"

Il m'est très difficile de décrire ce spectacle, qui ne peut pas vraiment être décrit, mais seulement raconté.

L'action du ballet se déroule dans la Chine ancienne, les costumes et les décors le suggèrent dès la première scène et pas à pas, sans savoir à priori de quoi il s'agit, le sujet devient une évidence.

  Tout est somptueux. Les décors changent d'un tableau à l'autre avec une rapidité confondante. Entre les scènes, sur l'un des murs de la salle, il y a un texte en chinois, écrit en bleu sur fond blanc, qui lui-même ressemble à une estampe et qui explique l'action, si besoin.

Quelques secondes après le prologue, la scène suivante se déroule dans un décor désertique, dans lequel avancent des chameaux. Le rideau diaphane, toujours présent, la distance, la qualité de la réalisation, font que tout semble véridique, les chameaux ressemblent à de vrais chameaux :




Scène 1. En quelques mots, l'action est la suivante : un jeune et riche persan (comme le suggèrent le costume et l'équipage qui l'accompagne) arrive en Chine sur la route de la soie. Malade dans le désert, sur le point de mourir de soif, il est sauvé in extremis par un vieux voyageur chinois, accompagné de sa fille, qui lui donne de l'eau à boire dans une cruche.




Le Persan les quitte, mais le Chinois est attaqué par des bandits qui le laissent presque mort et partent avec la fille.

Scène 2. Le Chinois, à la recherche de sa fille, arrive à la foire de Dunhuang où l'on voit toutes sortes de marchandises et une foule bigarrée des gens qui  dansent. À un moment donné, le bandit arrive avec la fille qu'il force à danser. Lorsque la fille va chercher l'argent pour sa danse, son père met une bague dans le plateau respectif et ainsi ils se reconnaissent. 

Le Persan, qui est lui aussi à cette foire, l'aide à racheter sa fille.

Scène 3. Dans un palais (ou peut-être dans les grottes de Dunhuang, comme je le lis maintenant sur Internet, mais escusez moi, je raconte en fait  ce que j'ai vu et ce que j'ai compris, moi qui ne comprennes pas les textes chinois écrits sur les murs, aussi belles soient-elles !) dans laquelle le père, qui s'avère être un peintre célèbre, (le peintre Zhang) peine à achever une fresque incomplète et cherche un modèle adapté.

Tous les gens autour de lui se déplacent pour trouver une figure qui le satisfera, mais au final c’est sa fille, après une superbe danse, qui trouve une figure pleine de grâce qui complète parfaitement le tableau. (voir ici la vidéo avec cette scène: https://youtu.be/Pvqb7IPD0Fk?si=46LejTZ_udA43Mag) 

Soudain, le persan réapparaît avec beaucoup de jeunes hommes et femmes qui dansent en essayant d'imiter la jeune fille et sa position dans la fresque. 




Dans cette atmosphère pleine d'amitié et de bonne humeur, apparaît le chef local qui voulait avoir la jeune fille et qui lui montre un ordre condamnant son père pour avoir peint les grottes.

 Remplis d'horreur, le père et la fille le montrent au public, l'ordre étant écrit sur un bout de papier. Pour sauver la fille, le père dit au Persan de l'emmener avec lui en Perse. Apres leur départ il est fait prisonnier et il est carrément enchaîné.

Scène 4. Après la pause, l'action se déroule à la cour des persans, beaucoup de danses orientales, un décor enchanteur, la fille au centre de l'attention, mais triste. Le Persan décide de la ramener chez son père, en Chine.

Scène 5. Dans la grotte avec la fresque, le père joue du pipa  et rêve (d'où une "atmosphère de rêve") qu'il retrouve sa fille et danse ensemble  avec leur ami persan dans le ciel qu'il a lui-même peint.




Soudain, l'archet du pipa se brise et réveille le peintre.

Le gouverneur apparaît   et  voyant la fresque sur le mur de la grotte, libère le peintre de ses chaînes.

L'artiste part à la recherche de sa fille et se retrouve quelque part près d'une forteresse, où arrivent des voleurs, menés par le chef de la ville, plus le bandit du prologue.

Le persan apparaît également avec la jeune fille et ses compagnons de voyage, apportant avec eux un pipa qui a une cachette secrète dans laquelle se trouve un texte.

Les voleurs, incités par le chef de la ville, attaquent le Persan, le père tente d'intervenir et est touché par une flèche, les troupes du gouverneur apparaissent, les voleurs sont mis en fuite, mais le père meurt dans les bras du Persan et de sa fille.

Scène 6. Au cours de la Réunion amicale des 27 pays tenue à Dunhuang,  toutes les nations envoient des cadeaux. Les Indiens, les Russes, les Bulgares, les Noirs, sont ceux que je reconnais.

 Le chef de la ville et le jeune bandit apparaissent, apportant un pipa en cadeau. 

Mais le Persan, accompagné de ses compagnons, amène Yingniang, la fille du peintre Zhang, qui danse sur une sorte de plateau et montre au gouverneur militaire et à tous les invités la flèche avec laquelle a été tué son père. Le gouverneur veut savoir qui était l'agresseur. La jeune fille prend le pipa et avec une agrafe sort un message de la cachette, dans lequel  elle  accuse les criminels.

Le voleur est attrapé, le chef de ville démasqué, tout est bien qui finit bien.

Encore deux derniers tableaux, au parfum d'ambre et au décor enchanteur, avec des lumières flottantes, des étoiles et des fleurs, etc... 

Deux  filles évoluant en hauteur, vraisemblablement  portées par des personnes qu'on ne voit pas, les acteurs disent au revoir au public et  un ultime texte "l'amitié entre le peuple chinois et les autres peuples coule à travers les âges comme le fleuve Yang Tsé .

Malheureusement, je n'avais pas d'appareil photo à l'époque, donc les photos que je viens de poster dans mon recit se retrouvent ici et là sur internet, qui en regorge! 



   

Autrement quoi dire de ce spectacle? 

Les costumes, époustouflants. Les Chinoises, incroyablement jolies, costumes pleine de couleurs, féériques,  décorations brillantes, danses exceptionnelles, tous incroyablement beaux.

Dommage que je n'arrive pas à mettre des mots sur toute la beauté et l'élégance de ce spectacle onirique, la grâces et délicatesse  des artistes (certains avaient même l'air d'enfants) la façon dont, d'un seul trait, ils ont su reproduire les spécificités de chaque peuple, (noirs et indiens en particulier ils étaient de ouf).

Il semble que le spectacle ira à l'étranger. S'il vient aussi chez nous, il ne faut en aucun cas qu'on le rate.

Nous avons tous été vraiment fascinés et maintenant, quand je retranscris les impressions de mon journal de l'époque et que je compare avec ce que je vois sur Internet, je me rends compte que j'ai été témoin d'un événement extraordinaire : la naissance d'un spectacle d’exception, considéré aujourd’hui comme un véritable « Lac des cygnes » chinois.

Voilà pour le spectacle.

Pour le reste, en faisant le tour de Pékin, j'ai vu non seulement des maisons traditionnelles, qui ne dépassent pas la hauteur des pavillons du palais impérial, mais aussi des bâtiments style HLM, pas forcément luxueuses et à l’évidence habités, avec des rideaux et des meubles aperçus à travers les fenêtres... Tous les récits concernant leur misère me paraissent exagérés maintenant, mais bien sûr, je suis dans la capitale.

Sinon, le cours se passe bien. Hier ils étaient 17, aujourd'hui ils étaient déjà 20, le traducteur est enchanté.  Aujourd'hui j'ai proposé la visite d’une entreprise, pour montrer à quoi sert le paquet de programmes que je présente. Ils étaient enthousiasmés. Voyons maintenant si ma proposition sera  approuvée. De toute façon, je n'insiste plus !

Terminé. Je vais enfin me coucher ! A demain!


Vendredi le 26.10.1979


Aujourd'hui, j'ai traversé Pékin à pieds toute seule. Excellente sensation. Cependant, j'ai parcouru seulement les rues principales, Wangfujing (que les Roumains appellent  „bani putini” c’est à dire « peu d'argent », à cause des nombreux commerces et marchandises chères et inaccessibles) et la rue dont je ne connais pas le nom chinois et que les Roumains ont baptisé «Le Petit Paris ».

 Et déjà, marcher sur ces deux avenues  c'est une vraie performance : vues les distances énormes, je dois avouer que bien que je sois assez sportive, marcher dans les rues de Pékin devient vite fatigant.

Je me suis donc limitée à ces rues par commodité.  En plus,  on nous a conseillé à l’ambassade de rester dans les zones où il y a beaucoup de policiers car,  après une longue période pendant  laquelle pratiquement aucun Européen n'a mis les pieds en Chine, plus plusieurs décennies de xénophobie aiguë, peut-être la conséquence historique, mais aussi promue par la politique du gouvernement, le contact avec les citoyens chinois peut être dangereux pour nous.

Même sans ces conseils, j'aurais instinctivement un peu peur de m'aventurer dans les ruelles latérales.

 Déjà, la façon dont les gens me regardent, puis le fait que je ne parle pas le chinois et qu'eux ne parlent aucune langue étrangère, mais aussi le fossé culturel qui nous sépare, rend toute tentative de contact impossible.

Et pour finir,  aussi parce que je pense que rien ne nous autorise de les regarder où de regarder leur maisons et leur pauvreté comme  quelques chose d’exotique, ainsi que  font les occidentaux lorsqu'ils  visitent les pays pauvres  En disant après avec satisfaction :  „qu’est-ce qu’on est bien chez nous”, sans rien comprendre!

Quant à ce que j'ai vu dans les rues, mis à part la foule impressionnante de gens plus ou moins propres, mais tous habillés à l'identique (on m'a dit pourtant que chez eux ils renoncent à leurs uniformes Mao, les femmes portent leurs robes de soie, quand elles en ont, etc...), il me semble remarquable la façon dont les voitures avancent parmi la foule des vélos et des bus ultra bondés.

Et parce que je parle des rues, j’ai trouvé drôle le  fait que les balayeurs de rue, ceux que j'ai rencontrés, portent des masques sur les visages et des gants blancs. En fait, de plus en plus de Chinois portent des masques, pour éviter les virus et peut-être la pollution. Au début j'étais un peu choquée, mais petit à petit je m'y suis habituée. Cependant, pendant les cours, ils enlèvent leurs masques.

Sinon, je ne peux pas dire que je ressens ce qu'ils pensent : quand j'essaie de parler à mes "élèves", par l'intermédiaire du traducteur, je ne détecte rien, ils rient, plaisantent, sourient, ils ont l'air d'être d'accord avec ce que je dis, mais la visite à l'entreprise n'a pas été approuvée. Sans explication.


Samedi, le 27 octobre 1979

La monnaie chinoise :





Je suis enfin allé au Palais impérial

De ce palais non plus je ne sais pas trop quoi dire sauf qu’il est incroyable, diffèrent de tout ce que j’ai pu voir jusqu’à ce jour dans ma vie !

Bon, au risque de paraitre naïve ou pire, je dois répéter que je suis allée en Chine pour la première fois en 1979, quand j’avais à peine 30 ans  et qu’avant ce voyage je n’avais pas beaucoup d’informations concernant le pays, à part les livres obsolètes de Pearl Buck et ce que j’avais appris au lycée pendant mes  cours d’histoire universelle,  c’est-à-dire trois fois rien. 

Comme je n’ai pas suivi à la télé la visite de Ceausescu en 1971, je n’ai pas eu d’images de Pékin, ou autres villes non plus. 

Sauf, malheureusement,  les mauvaises répercussions sur la politique roumaine de cette visite, c’est à dire ce que les Roumains connaissent sous le nom de « Thèses du Juillet »,  qui m’ont terriblement effrayé et m’ont donné une mauvaise opinion de ce pays.

Ainsi, mes premiers contacts  avec cette civilisation inédite et complexe me laissaient maintenant pantoise, même si instinctivement je commençais non seulement l’admirer, mais aussi à l’aimer !

Je pense parfois à Marco Polo : je crois bien qu’il était bluffé ! Surtout en regardant la richesse et les trésors des empereurs.

Tous ces jardins dorés avec des arbres faits de coraux et de rubis et quelques autres pierres précieuses, quel travail d’orfèvrerie, une toile d’araignée en or, des petits hommes de jade, des histoires entières sculptées dans un seul morceau de jade. Tout simplement indescriptible. 

Malheureusement, rien de ce qui est ici ne peut être décrit en quelques lignes. Heureusement qu’il y a maintenant Internet et ses images :




Combien d’estampes merveilleuses, combien de porcelaines d’une beauté exquise et certainement d’une valeur inestimable,  combien  de peintures en relief merveilleuses, combien de portes finement sculptées, de lions en bronze dorés, de dragons et d’élégantes oiseaux Phénix…

 Et les grandes salles d’apparat rappelant les tentes des nomades dans le désert,   alignées les unes après les autres sur de grandes plateformes accessibles par des escaliers en marbre finement sculptés,  suivant  une presque impeccable axe nord-sud.

 Axe partant de la porte du nord du palais jusque vers le temple du Ciel, plus précisément vers la porte Yongdingmen nouvellement reconstruite et je pense délibérément interrompu par le Mausolée, sur la place Tian an Men.

Nous passons fascinés et émerveillés d'un pavillon à l'autre, traversant d'immenses cours quasi désertiques,  nous, les quelques informaticiens roumains, accompagnés d'un traducteur qui explique brièvement le nom et la vocation de chaque pavillon : dans la cour dite extérieure où aucun arbre n'éclipsait la grandeur de l'architecture et la solennité des cérémonials,  le « Hall of Supreme Harmony », utilisé pour les grandes cérémonies, "Hall of Preserving Harmony", où se déroulait la dernière étape de l'examen impérial (pour occuper des postes importants), ou, dans la "cour intérieure", où vivaient l'empereur et sa famille sous la dynastie Ming, le  "Palais de la Pureté Céleste" etc...

On nous donne quelques explications sur leur architecture, archétype de l'architecture chinoise et est-asiatique, dont on remarque, entre autres, l'élégante courbure gondolante des toits, qui empêche les oiseaux de se poser, et les rangées de statues d'animaux dans chacune des angles, dragons, phénix et lions, gages de chance et de prospérité.

Si j'ai bien compris, tout ici a une signification symbolique, philosophique ou religieuse, sinon politique, du nombre de travées dans chaque salle (9 et 5 en largeur, respectivement en profondeur, pour la Salle de l'Harmonie Suprême, 9 et 5 étant des nombres qui montrent la grandeur de l'empereur ), aux couleurs des pavillons, où prédomine le rouge (représentant le bonheur, la santé et la puissance) et le jaune, la couleur de la terre, symbolisant la suprématie et la puissance de l'empereur, ainsi que les animaux dont des statues ou des peintures entourent les trônes grandioses,  parmi lesquelles  toujours et en grand nombre, des lions, des phénix et surtout des dragons.

Mais pour plus de détails, il faut aller par exemple sur ces sites : https://www.wonders-of-the-world.net/Forbidden-city/index.php,

https://www.chinahighlights.com/beijing/forbidden-city/forbidden-city -facts.htm, https://www.chinahighlights.com/beijing/forbidden-city/

Je lis maintenant que le palais, dont la construction a commencé en 1406 sous la dynastie Ming, la dernière dynastie Han, contient, dans ses différents pavillons, 1 862 690 objets considérés d'une grande valeur culturelle par l'État chinois. Parmi eux, il semble qu'il y ait aussi des contrefaçons, qui elles-mêmes ont une valeur tout aussi élevée ?!

Mais ce n’est pas  seulement le palais qui regorge de richesses. 

Dans leurs  magasins aussi, quels objets extraordinaires je pouvais voir ! 

Tout ce que nous trouvons dans nos magasins à Bucarest est banal en comparaison ! 

Bien sûr : si vous voyez des articles d'une valeur de 16 000 yuans dans les magasins ici, cela signifierait environ 200 000 lei dans le pays !D'où?

 Mais combien coûteraient les objets qui n'affichent aucun prix, car ils sont trop élevés, sans parler des objets d'une valeur inestimable du palais impérial ?

Pour l'instant, tout ce que je vois me laisse sans voix. Je vais arrêter de chercher à comprendre quoi que ce soit pendant que je suis ici, j'enregistrerai seulement autant que je peux et à la maison j'essaierai de mettre de l'ordre dans mes idées.

Le comble, pour ne rien arranger, maintenant j’ai attrapé aussi un rhume : il paraît qu’il y a un virus qui circule parmi nous, les Roumains, aucun des nôtres n‘a échappé ! Les collègues accusent les Chinois qui crachent avec désinvolture  partout. Même au palais d’hiver : un magnifique petit bassin avec des poissons rouges, des nénuphars, à côté d'un gracieux pavillon, mais voilà qu’un chinois s'est mis à cracher dedans juste à mon approche, alors pour moi le plaisir c’était fini !

Et l'odeur des étroites ruelles traditionnelles, avec de petites maisons,  forcément pas plus hautes que les pavillons du palais impérial (pas étonnant que les habitants passent leur temps sur les trottoirs, avec des enfants en poussette et des femmes nettoyant les légumes) où il n’y a qu’un WC pour tous, WC que les vidangeurs viennent vider périodiquement. Le contenu est ensuite utilisé comme engrais dans les champs et c'est pourquoi il nous a été déconseillé de manger de fruits et légumes crus !

 Heureusement, ayant maintenant le nez bouché, je ne sens plus les odeurs!

Et puisque nous parlions des diverses coutumes chinoises qui nous déstabilisent, nous, les Roumains (différences civilisationnelles), quelques mots sur notre choc à Bucarest, quand, surtout pendant les cours de l’après-midi, les étudiants chinois ont commencé à roter ou même à péter ! Pour eux, c’est ce qu’il faut faire pour éliminer les gaz, mais pour nous, euh…

Enfin, voyant notre réaction, leur chef, une personne distinguée, à la silhouette différente de celles des autres Chinois, plus fine et d’apparence plus intelligente et même habillé différemment, avec un pull en cachemire sous un costume impeccable, il  semble qu’il leur a donné l’ordre de s’abstenir ! En tout cas, le chœur désagréable des cours d’après-midis  a cessé !

Demain je vais au mur ! Je suis vraiment impatiente !


J’ouvre les yeux au maximum, mais je ne comprends pas grand-chose. Les Chinois sont beaucoup plus subtils et fermés qu’on ne le pense.

En attendant la visite au mur, j’essaie maintenant de décrire le premier banquet de bienvenue en Chine :

Sur la table, devant moi, trois verres. Dans l’un une boisson incolore, pas du Mao Tai, dont l’odeur me rendait malade. Bien qu’évidemment de l’alcool, le traducteur l’a appelé vin. Dans un autre, une boisson rouge, assez bonne au goût et enfin un verre avec de la bière.

Les assiettes n’ont été changées qu’une seule fois. Après que j’ai pigé qu’ils mettent  tout dans une même assiette, j’ai pris soin de  jeter les restes.

La première assiette, pleine de divers jambons, salami, une sorte de radis et de cerises glacées. 

Puis des trucs en sauce, puis quelque chose de gélatineux (oursin, concombre de mer, seiche ?!) dans une sauce marron que j’ai fait l’erreur de manger. 

S’en suivent des crevettes, qui m’auraient semblé bonnes, n’eût été cette sauce lourde, sucrée et malodorante, j’ai essayé de ne manger que la chaire, mais c’était difficile. 

Suit un poisson avec une sauce plus que pimentée, après quoi une soupe, avec de la viande de poulet, après ça de la viande saupoudrée de sésame et quelque chose qui semblait être du cœur frite, toutes sortes de cheveux d’ange joliment colorées, blancs, verts et sans aucun goût. 

Puis les fameux gâteaux jaunes décrites auparavant par mes collègues, également décorés de cheveux d’ange blancs (« ils sont très bons, ils n’ont aucun  goût », ne pus-je m’empêcher de faire remarquer aux rires de mes collègues roumains) et enfin le melon. 

Maintenant, j’ai peut-être oublié quelque chose, mais je n’ai pas oublié l’essentiel : vous n’êtes pas obligé de manger si quelque chose vous semble douteux ! Parce qu’il ne faut pas oublier que j’étais vraiment malade ! Un mexaform, un emetirol et un torecan m’ont à peine remis sur pied. Et pas entièrement : depuis j’ai mal au ventre !

(Conclusion 2023 : que dire de cette mentalité de personne qui n’a jamais quitté sa zone de confort ?! J’ai l’impression d’être comme ces Américains qui vomissent rien qu’à l’idée de manger de la cervelle ou de la moelle …

Autrement dit: offrir à des ignorantes, comme moi, un banquet avec la cuisine du Sichuan, l’une des cuisines les plus populaires en Chine, équivaut à donner des perles aux porcs, comme disent les Roumains !

Bon, la conclusion reste toujours la même, c’est-à-dire « tu ne devrais pas manger si quelque chose te semble douteux ! »  parce que je ne pense pas que mon estomac puisse résister aux vers à soie en sauce ou à la cervelle de singe sur un plateau, pour ne donner que deux exemples. 

Mais depuis le temps où je décrivais ce banquet, j’ai appris à adorer la cuisine chinoise, à manger des cuisses de grenouilles, des huîtres et des moules et  autres « fruits de mer » avec grand plaisir, et je ne peux que regretter de ne plus jamais  aller en Chine pour me régaler encore avec leur cuisine.)


Dimanche, le 28 octobre 1979, visite à la Grande Muraille !  

J’ai attrapé la crève, comme on dit ! Je me sens vraiment mal. 

Cette salle de classe et cette salle de repos "pour les  professeurs " et la différence de température entre elles… Pourtant, la vie continue!

Très tôt le matin nous sommes attendus  à la porte de l’Ambassade par "nos camarades Chinois" avec la même Toyota avec laquelle nous allons en cours.

 En chemin, on nous a donné un panier-repas : quatre tranches d’une sorte de salami, une tranche de canard rôti (pékinois ?) un gâteau, une boulette de viande (qu’après l’avoir goûtée j’ai arrêté de manger) du pain et une pomme. Une bière et demie ( ?) deux jus et c’est tout ! Repas pique-nique.

Aujourd’hui, comme au banquet, c’était la même traductrice que j’ai eue pendant le  cours au Bucarest. 

Le soir quand je suis allée voir le spectacle de ballet c'était le traducteur du CSP, qui n’a pas pu traduire grand-chose pour moi. C’est pour dire quelle chance j’ai d’avoir un bon traducteur pour mon cours : comme je l’ai déjà dit, il est vraiment très bon. Par exemple, c’est lui qui a traduit le programme du spectacle de ballet pour moi.

Mais,  pour revenir à l’excursion, que dire des monuments vus aujourd’hui ? J’ai visité des endroits totalement insolites, dommage que je ne sois pas dans la forme nécessaire pour les décrire et surtout dommage que j’ai attrapé un rhume !

Je commence quand même par la Grande Muraille. 

Plus précisément, la Grande Muraille dans la région de Badaling, (qui s’écrivait  en 1979 sous le nom de Padaling, mais la prononciation est la même) qui est l’une des parties les mieux conservées de la Grande Muraille qui serpent sur 8 851,8 km dont 6 259,6 km de murs, 359,7 km de tranchées et 2 232,5 km de barrières naturelles, telles des montagnes ou des rivières.

Badaling n’est qu’à environ 70 km de Pékin, mais 70 km que nous avons parcourus en deux heures environ, sur une route sinueuse à 1000 m d’altitude, parmi des montagnes nues et rougeâtres, presque totalement dépourvues de végétation. 

Un paysage  moutonnant, abracadabrant, avec des collines qui se succèdent comme des bosses de chameaux, avec des  vagues taches vertes, des arbrisseaux  qu’on ne sait pas avec combien d’efforts leur a fallu pour y pousser…

 Ici et là une petite maison, en terre-battue  ou en briques crues, avec un petit arbre dans la cour, sans feuilles, mais avec des fruits oranges, les fameux kakis pékinois, qui apportent une touche de couleur bienvenue sur le fond brun rougeâtre du paysage environnant.

La route ultra-encombrée, comme si tous les citoyens de Pékin avaient décidé d’aller aujourd’hui à la Grande Muraille, klaxons quasi continus, bruit, poussière, mais  j’aime le paysage, même si inhabituel et presque lunaire pour moi qui viens de la Valée de Prahova et le bruit et l’agitation me semblent anticiper un grand événement, donc rien ne me dérange, sinon mon rhume idiot.Enfin, voici la Grande Muraille.

 De nombreuses voitures sont déjà arrivées avant nous, mais nous trouvons tout de même une place de parking pour la fameuse Toyota. 

L’entrée au mur une fois payée, chacun de nous reçoit la carte avec le tampon qui prouve que nous l’avons visitée et nous nous dirigeons vers la partie la moins fréquentée, sans vraiment pouvoir éviter la foule des touristes Chinois, Japonais, Français, Italiens, Américains, etc…




Nous montons tous les escaliers en courant jusqu’à la Grande Muraille : enfin des relations plus humaines entre nous, les Roumains et nos collègues chinois.. … 
« Les camarades qui suivent vos cours sont très satisfaits », me dit l’interprète (de langue roumaine). Vraiment ? 

 Dans un coin un Américain prend une interview à un Chinois : „good morning America, I am Tai... and I speak from the great wall of China”...

J’étais impressionnée ! J’imaginais ce qu’il ressentait, après tant d’années d’isolement et après tant de drames ! Nous ne sommes qu’en 1979 !!!

 Je monte tout en haut, c’est-à-dire jusqu’à la tour de garde, la vue est agréable, mais elle ne m’impressionne pas autant qu’Obcinele Bucovinei, par exemple. 

Je suis seulement émerveillée par la taille du bâtiment, l’idée historique et la forme du mur, qui me semble étrange. Pourquoi a-t-il été fait ainsi et pas autrement et après tout pourquoi l’ont-ils fait ? A quoi servent les murs ? Est-ce qu’ils servent ?

Enfin, nous partons pour les tombeaux des Ming, plus précisément pour Changling, le tombeau de l’Empereur Yongle, celui qui a initié cette nécropole de 40 km2 où au final 12 autres empereurs ont été enterrés (avec leurs femmes et parfois même leurs concubines, même si parfois elles n’étaient pas encore mortes) qui lui suivirent, jusqu’à l’extinction complète de la dynastie.

 Murailles immenses, palais, tombeaux et temples, il semble qu’ils ne chaumaient pas  par ici les gens à l'époque !

 Entre parenthèses soit dit, Yongle est en fait celui qui a déplacé (obligé étant) la capitale de l’empire de Nankin à Pékin, construisant, entre autres, la Cité Interdite (c’est-à-dire le Palais Impérial, ou le palais d’hiver). 

 Même ce « tombeau » : outre le fait qu’il a je ne sais pas combien de portes, de temples et de salles extérieures, ou intérieures,  avec leurs fondations sculptées et autres colonnes, plus une Allée Sacrée, bordée de 24 statues d’animaux et 12 statues de divers dignitaires, il a aussi un palais souterrain, avec je ne sais pas combien de sales lui aussi. (description complète sur Internet ici : Tombeaux des Ming — Wikipédia (wikipedia.org) ou ici https://destepti.ro/mormintele-ming-changping-china/ 

 Et quand on pense qu’il y a encore 12 autres tombeaux construites selon le même plan et qu’en Chine il y a je ne sais pas combien d’autres nécropoles, dont la plus fantastique me semble être celle de l’empereur Qin… 

Ceci étant, même si les gens ordinaires ont payé un lourd tribut en les construisant, en Chine, comme dans d’autres régions du monde où se trouvent de tels monuments, églises, pyramides et autres châteaux, leur apporte à l’économie nationale actuelle des pays respectifs peut être de nos jours importante et bénéfique pour tout le monde… 

 Quant à moi, je ne cessais de m’émerveiller en les visitant !

 Sinon, ce n’est que maintenant, après avoir lu plusieurs volumes sur l’histoire de la Chine et surtout quand je peux immédiatement trouver les informations nécessaires sur Internet, que je comprends mieux leur signification et aussi leur importance. 

Car, comme je l’ai déjà dit, en 1979, quand j’écrivais ce journal, non seulement je ne connaissais pas grand-chose à la culture chinoise, mais j’ai tendance à croire que même les Chinois qui m’accompagnaient n’étaient pas beaucoup plus informés que moi. 

Plusieurs fois, j’ai pensé qu’ils n’ont jamais visité ces endroits et qu’ils profitaient en fait de notre présence pour participer aux visites, ainsi qu’aux spectacles ou même aux banquets…

 Alors, mon admiration mise à part, je préfère laisser la parole aux connaisseurs, car depuis la documentation ne manque pas, autant dans les librairies que sur internet.

Jeudi, le 1 novembre 1979


Lundi, mardi, mercredi, toujours les cours : programme intensif.

 Mardi j’ai encore acheté de la nourriture chez Friendship : grosses hausses de prix !

Lundi, marche solitaire sur Wang Fu Jing, mercredi avec la nouvelle prof roumaine sur Xidan, jusqu’au bout, puis retour jusqu’au Mausolée, soit un total de 3 heures de marche lente. Vue magnifique, un ciel rougeâtre, couleur  normale pour  l’heure et  la saison.  Sur le ciel les arbres se découpaient joliment, comme dans une estampe chinoise. L’immense place (capacité 1,5 million de personnes), la porte sud du palais à cet instant vraiment magnifique,  grâce à ce coucher de soleil somptueux…



Au final, ça reste quand même une expérience merveilleuse, unique dans ma vie, travail y compris, avec ce traducteur si dégourdi et drôle !

Hier, submergée par la multitude de questions répétitives, je leur ai dit que j’adopterais une nouvelle méthode pédagogique : « à partir d’aujourd’hui, je note toutes les questions sur une feuille de papier et je ne réponds que si le lendemain  « les camarades chinois » n’ont pas trouvé les réponses par eux-mêmes ».

Toujours hier, en réponse à une des leurs questions, je leur ai dit que je ne me promenais  seule dans la ville parce que j’avais peur de me perdre. Aujourd’hui, ils m’ont offert une carte, mais en regardant la photo suivante, tout le monde peut se rendre compte à quel point elle m’a été utile !




Sinon, comme vous pouvez le voir dans mon journal, entre les cours et les différentes sorties en ville, je n’ai pas beaucoup de temps pour noter mes impressions !

 Ça ne fait rien : comme d’habitude je le ferai à la maison. 

Ce soir nous sommes invités à un concert ! 

 Vendredi, le 2 novembre 1979.

  Hier soir je suis allé au concert.

 Malheureusement, je suis arrivée trop tard pour trouver un programme. 

Mais bien sûr on s'est tout de suite rendu compte qu'il s'agissait d'un concert « événement historique » : « Le concert est donné dans le cadre de la visite de Hua Kofen en République fédérale d'Allemagne, l'orchestre étant dirigé par un homme de 71 ans, précise mon interprète ». 

Vraiment? 

Je sais maintenant que c’était l'Orchestre Philharmonique de Berlin dirigée par Herbert Von Karajan !

 Première orchestre occidentale et premier grand chef d'orchestre à visiter la Chine communiste, de tels événements n'arrivent pas tous les jours !

 Surtout en Chine, après leur révolution "culturelle", quand tout ce qui était occidental était non seulement interdit, mais considéré comme un véritable crime. 

Il est clair que le gouvernement chinois veut marquer le changement politique, l'ouverture de la Chine à l'Occident !

 Et quoi de plus convaincant qu'une orchestre de musique classique occidentale, alors qu'il y a quelques années à peine un pianiste talentueux, Li Ming Qiang, lauréat du premier prix du Festival de musique classique George Enescu en 1958, a été torturé (doigts cassés), envoyé au travail des champs, pour le simple fait qu'il était pianiste ! 

Résultat : il n’a plus jamais pu jouer au piano !

Sur Internet, on peut voir maintenant que "Le 16 octobre 1979, Karajan et l'Orchestre philharmonique de Berlin se sont lancés dans une tournée historique en Asie. Débutant à Tokyo, Karajan a dirigé neuf concerts et a reçu un doctorat honorifique de l'Université Waseda, avant de s'envoler pour Pékin, où il a dirigé les toutes premières représentations de l'orchestre en Chine le 30.10. et 1.11.1979."

Le concert, télévisé, était donné dans une sorte de salle de sport, de 6000 places, aux murs peints en vert à 1,50m du sol. La salle était pleine, beaucoup d'européens, mais surtout beaucoup de chinois en uniforme mao vert ou bleu, certains amenés en bus, à l’évidence directement de leurs entreprises, d'autres, cependant, manifestement mélomanes : un Chinois a enregistré le concert sur un magnétophone, un autre battait le rythme totalement transporté, etc…  

En regardant la salle, je pensais  que les Allemands n'ont certainement jamais chanté dans un tel environnement !

Mon interprète, autrement un gars qui a beaucoup voyagé, dit-il, en tout cas très intelligent, bâillait, regardait la montre, comptait les membres de l'orchestre - 87 occidentaux et en deuxième partie, sans entracte, 115 chinois intégrés, etc...

Autrement, le concert a été magnifique. Quant à l'orchestre et son chef, pas besoin d’en parler : c’était vraiment un concert mémorable! De tous les points de vue ! J’étais enchantée en écoutant la musique et en même temps je me rendais compte de la chance que j’avais d’être là !.

Au final, une corbeille de fleurs, des chinois importants prenant des photos avec l'orchestre (exactement comme chez moi après les cours,lol), l'ambiance festive, 6000 paires de mains applaudissant avec enthousiasme la séquence. (il faut espérer que leur enthousiasme était dû au moins en partie à la qualité du spectacle et non pas au fait qu’il était terminé !)

Je demande à l'interprète qui sont ces Chinois "importants" qui sont photographiés avec l’orchestre, dont l'un âgé, avec une figure vénérable, s’appuyant sur une canne. Il me dit qu'il ne sait pas, peut être un vice-président de l'Assemblée Nationale et, plus tard, après avoir consulté d'autres chinois (comme si j'étais vraiment intéressée par la réponse) me disait qu'il y avait aussi un ministre...

Et ne parlons pas de la différence entre les RFG-istes et les Chinois qui les ont rejoints dans l'orchestre ! Et les deux femmes chinoises, vêtues de robes (mais quelles robes !) qui ont apporté le panier de fleurs !

Et, je le répète, la salle elle-même... Avec des Chinois plus ou moins lavés! Et tout!

Qu'est-ce qu’ont dû  penser ces Allemands ?

 Avoir pitié ? Avoir  peur? Et l'un et l'autre ! Que Dieu nous préserve!

Et cette  foule immense qui est chez eux  dans les rues, à toute heure du jour ou de la nuit !

Mes collègues disent que "ces gens grouillent : la nuit ils courent sous terre d'un centre informatique à l'autre, regardent, étudient, font des réunions et le jour ils viennent nous redemander les mêmes choses, en disant qu'ils n'ont pas compris"...

Je plaisante, et pourtant, voyant mon interprète un peu fatigué aujourd'hui, je lui ai demandé pourquoi cette fatigue. I m'a répondu qu'il avait eu "une réunion" et qu’après il a écouté je ne sais quoi à la radio, puis, vers 5 heures du matin "un camarade est venu chez moi" etc.. Il n'a donc dormi que 4 heures...

Sa voix résonne  constamment  dans mes oreilles, tantôt en chinois, tantôt en français : le cours devient vraiment fatigant.

Maintenant c'est la pause déjeuner : j'ai mangé des saucisses, comme d’habitude (car quoi d’autre ?)  bu de la bière (car l'eau peut être "dangereuse" ) après j’ai bu un nescafé, maintenant je suis assise et j'écris, parce que de toute façon je ne peux pas me déshabiller et dormir, par exemple,  je ne peux rien faire pendant cette pause ! Ouf !...

Samedi, 3 novembre 1979!


Expérience au Musée d’Histoire! Que je vais relater en détailles quand j’aurais le temps.

 Dimanche 4 novembre 1979. 

Visite des Collines Parfumées et du Palais d'Eté !

 „Le parc des collines parfumées, Jingyi, construit en 1186 pendant la dynastie Jin et agrandi pendant les dynasties Yuan et Ming, est devenu le "jardin de la tranquillité et du plaisir" sous le règne de l'empereur Qianlong de la dynastie Qing, qui a ordonné l'ajout de nombreuses salles, de nouveaux pavillons et jardins.”

 Quant au palais d'été, „Yíhéyuán, vaste ensemble de lacs, de jardins et de palais considéré comme un chef-d'œuvre de l'aménagement paysager chinois, fut créé entre 1750 et 1764 et détruit par les Occidentaux en 1860, puis restauré dans ses fondations d'origine en 1886.” 

Conclusion : par rapport au passé historique majestueux, à la splendeur, à la complexité artistique et au raffinement décadent des lieux visités, aujourd'hui encore, quand je retranscris mon journal, je me sens comme dans l'épigramme de Toparceanu « aujourd'hui, quand il écrit sa prose, il est en pleine métamorphose. Mais il se transforme difficilement: il aspire à peine au chimpanzé". 

Honte aux Occidentaux qui, dans leur stupide ignorance, sont entrés et continuent d'entrer avec leurs bottes pleines de boue dans des civilisations millénaires, sans rien comprendre et surtout sans tirer les leçons de leurs erreurs! 

Luni 5 noiembrie 1979 

J'ai fait beaucoup de cauchemars la nuit dernière. Avec mon frère, Dan, avec ma copine, Marta... 

Je pleurais presque pour de bon à un moment donné.

 Je me suis réveillé (et à cause de ça) assez tôt, je suis habillé, je bois déjà mon café. 

Et rien ne bouge alentour. Pourtant, d'après les couleurs de l'horizon (heureusement que j'ai des fenêtres vers l'est !) il semble être déjà 7 heures... Hum... 

Je commence à regretter de ne pas avoir de montre ?... A la caserne voisine, les militaires ont commencé depuis longtemps leur gymnastique : 一二三四 (I Ar San Si, I, Ar, San, Si…) c’est-à-dire un deux trois quatre, ainsi que j’ai pu comprendre…

 La semaine dernière j'ai tenu bon : "j’ai visité déjà le palais d'hiver, vous savez très bien que je voulais visiter le musée d'histoire... c'est maintenant le meilleur moment..."

 (Sofica, la nouvelle professeure venue de l'ITC, la femme de mon collègue Zainea Marin, devait de toute façon aller au palais d'hiver...) 

Finalement, ils ont accepté ma demande : ("la proposition lancée par vous a été validée"... me dit le traducteur, pour que l'on reste dans le cadre du paquet de programmes que je suis en train de présenter au cours, c'est-à-dire Oracle Lancement et Ordonnancement). 

Bien que je leur ai dit que je pouvais y aller seule, mon interprète m'a annoncé qu'il m'accompagnerait.

 J'étais contente, en pensant que je serais peut-être seule avec lui, chose qui se serait produite pour la première fois : chaque fois qu'un Chinois voulait nous dire quelque chose, il venait avec un autre camarade. 

Toujours, dans les relations avec nous, ils y avaient deux ou plusieurs Chinois à la fois. 

Même pendant les pauses... 

Pour preuve, cette fois aussi : dès que je suis montée dans la voiture qui allait nous emmener au musée, j'ai vu que le chef de mon groupe était également présent ! Quod erat demonstrandum !

 Peut-être que non, cependant. Peut-être que je suis méfiante et que je me fais des idées. Peut-être n'était-il présent que pour aider l'interprète, pour aller, par exemple, acheter des billets, etc..

 Pendant que nous deux, c'est-à-dire moi et l'interprète, étions debout à l'entrée, alors que le chef du groupe était parti acheter des billets, justement, un autre Chinois (pantalons trop courts et un peu sale, chaussures sales, etc...) s'est approché de nous et l'interprète s'est empressé de le présenter : - c'est un des professeurs de l’Institute.

 Après quoi, très cérémonieusement, le professeur, dans un français impeccable : "-Je suis enchanté de faire votre connaissance, J'ai beaucoup entendu parler de vous... "

Avant que je puisse lui demander de qui et quoi il avait entendu, sur un signal de l'interprète, le professeur avait déjà disparu... 

Peut-être que quelqu'un l'avait soudainement appelé ? 

Mais malgré tout, après une introduction si cérémonieuse, il ne me dit même pas au revoir !?

 Voyant que je suis resté sans voix, l'interprète m'expliqua qu'en parallèle, au centre informatique du CSP, (comission de planification?)  il y a des cours d'ORACLE les lundis, mardis et mercredis soir, et que c'est ainsi que le professeur avait entendu parler de moi. 

Et à propos de ces cours, vendredi soir mon interprète m'a directement demandé mes notices en me disant qu'il voulait préparer sa traduction. 

Et le samedi matin, il a ostensiblement sorti des papiers de sa poche pour que je voie qu'il l'avait préparé...

 Foutaises ! ! 

Tout d'abord, il connaît très bien le français et traduit le cours en direct, il n'a donc rien à préparer !

 Deuxièmement, il n'avait pas besoin de venir avec des subterfuges puisque je lui avais dit que je lui donnerais les notices quand il veut et qu'en partant en Roumanie je pourrais même les lui laisser pour de bon ! 

Combien de secrets pour quelque chose qui peut être résolu si facilement ! 

Par contre, ce qui est remarquable c’est le sérieux avec lequel les Chinois c’est sont mis à apprendre, pour en sortir au plus vite de l’ère Mao ! 

Peut-être que c’est avec la même ardeur avec laquelle ils ont fait fondre leur casseroles pour obtenir de l’acier, ou casser les têtes de Bouddhas dans les temples pour ne pas trahir le communisme !…

 Sauf que cette fois la cause leur est plutôt bénéfique, il me semble ! 

Mais continuons avec mon expérience au musée d'histoire !

 Fascinante l'évolution de la civilisation en Chine. 

Même les pièces du musée pour la période dite "primitive" sont très intéressantes.

 Mais pour comprendre l’importance et l’ancienneté de cette civilisation, je devrais avoir accès en même temps aux informations concernant la Mésopotamie, la Phénicie, l'Egypte ou l'empire hittite. 

 Je me souviens, par exemple, de l’extraordinaire musée Pergamon à Berlin. 

 Ici, bien sûr, il y a un système de canalisation depuis 3000 ans. Mais en regardant l’information je pensais qu'en Égypte il y avait déjà un système d'irrigation il y a 5000 ans: et oui, maintenant en vérifiant sur Internet, on peut voir : „ Cette irrigation artificielle des champs est avérée dès les origines mêmes de l’histoire de l’Égypte unifiée (comme en témoignent, vers 3100 avant J.-C., la « Tête de massue du Scorpion » représentant le roi ouvrant un canal. » 

Au final, alors que je passais d'une pièce à l'autre, regardant avec émerveillement et admiration toutes leurs porcelaines d'il y a plus de 2000 ans, ou les statues trouvées dans les tombes, je me disais quand même que la civilisation grecque reste beaucoup plus proche de mon cœur, avec l'élégance de l'architecture et des statues d'il y a « seulement » 2500 ans... 

Bien sûr, je ne comprenais pas les textes explicatifs, écrits uniquement en chinois et peut-être que mon interprète n'aimait particulièrement l'histoire non plus, peut-être que si j'étais avec une personne mieux informée, qui m'expliquerait les détails, ou peut-être que si je visitais le musée aujourd'hui, alors que je en train de transcrire ce journal et après avoir lu plusieurs livres sur l'histoire de Chine... 

Autrement, oui, il y a par exemple un char qui indique toujours la direction, un autre qui mesure les distances, le globe, déjà rond, même s'il est soutenu par une grenouille et les incontournables dragons (symbole de puissance et de résistance ), le dispositif qui présage les tremblements de terre, sans oublier les étonnants vases et statues en jade, porcelaine ou bronze, et autres objets dont auraient pu bénéficier aussi d'autres civilisations, la route de la soie, lien commercial entre la Chine et l'Europe, existant déjà depuis plus de 2000 ans. 

Mais là n’était pas l’essentiel de mon expérience inoubliable, pendant cette visite qui a duré près de quatre heures, sans interruption, au musée national d'histoire! 

 La plus importante séquence commence seulement quand nous arrivons enfin à l'exposition récemment inaugurée sur la vie de Zhou Enlai, l'ancien premier ministre, très populaire en Chine, surtout après ses tentatives de limiter les effets néfastes de la "révolution culturelle".

 L'exposition occupait toute une aile du musée, elle était donc très vaste : enfance, études au Japon, Paris, (où se trouvait aussi Deng Xiaoping) Londres, Berlin, entrée dans le mouvement révolutionnaire, Sun Yat- sen's Guomindang (continué par Tchang Kaï-chek à Taïwan), la guerre contre les 8 puissances (Empire austro-hongrois, République française, Empire allemand, Royaume d'Italie, Empire du Japon, Empire russe, Royaume-Uni et États-Unis) Mao, la révolution, la Grande Marche vers le nord , la libération, l’activité après 1949, divisée en sous-domaines : économique, culturel, etc...

 à cette étape il était déjà 18 heures, l'heure de fermeture du musée, on demande aux visiteurs (en chinois, donc je ne sais pas si poliment) de quitter le musée, mais à moi (qui, gênée, je voulais aussi partir comme les autres visiteurs) on me dit que spécialement pour moi, car je viens de Roumanie, le musée restera ouvert jusqu'à ce que je finisse ma visite en toute quiétude !

 Je ne peux pas protester, les lumières se rallument, seulement pour moi et uniquement dans la pièce que nous visitons. 

Nous ne sommes que trois (moi, le  traducteur et mon élève) plus une femme salariée du musée qui allume les lumières quand on entre dans une pièce et les éteint quand on sort.

 Commence une partie qui montre la modestie révolutionnaire du héros. 

« Voilà le pyjama qu'il portait (une couleur grisâtre, rapiécée, déchirée) et ça c'était sa chemise (manchettes en tergal ?, mais le reste dans un tissu ordinaire, genre chanvre, même très vieille par ailleurs) » et vous pensez bien, professeur, qu'il a été presque 30 ans le premier ministre d'un pays qui a plus de 6000 ans d'histoire et d'un peuple qui dépasse le milliard" et en me disant ces choses mon traducteur s'est mis à pleurer pour de bon.. 

 Alors, on peut s’imaginer : moi, seule dans un immense musée vide, dans un halo de lumière devant des vitrines avec pyjamas et chemises, entourée de deux Chinois et d'une Chinoise, n'osant pas les regarder, avec mon traducteur qui pleure et les autres aussi, peut-être…

 Je ne savais pas quoi faire…

 Pour commencer j’aurais eu envie de rire, mais là, catégoriquement, j'étais contaminée: j’avais moi aussi des larmes aux yeux... 

 Le traducteur m'a expliqué, (à la fin, un peu plus calmement, après qu’il soit allé dans un coin pour se moucher) comment Zhou Enlai est mort, comment la population de la Capitale, bien que le "Gang des Quatre" essayait de les empêcher, s’est mis à manifester intensément, avec des slogans comme "Nous te défendrons avec notre sang Zhou, ne t'inquiète pas", puis comment le cercueil a été porté à la Grande Muraille, à travers une foule immense, (bien qu'il faisait froid et il y avait du brouillard) où, après la crémation, les cendres étaient dispersées dans toutes les directions : La Grande Muraille, symbole de la Chine éternelle, donc les cendres étaient symboliquement dispersées sur toute la terre de la Chine ! 

En l'écoutant et en voyant l'émotion avec laquelle il parlait, je me suis rendu compte que leur immense patriotisme est empreint d'une sorte d'humiliation : un si grand pays avec une histoire si riche et un peuple si pauvre !

L'humiliation empreinte de ressentiments envers les occidentaux, que je pu voir lors de la visite du palais d'été, lorsqu’ils nous expliquaient l'épisode de 1860 où les forces alliées détruisirent l'ancien palais et lui volèrent tout ce qui avait de la valeur. 

Car oui, le palais d’été que nous visitions ce n’est que la réplique de l’ancien palais, construite en 1886.

 Entre parenthèses soit dit, environ 500 objets volés par des officiers ont été offerts en cadeau à l'empereur français Napoléon III et se trouvent aujourd'hui dans un musée à Fontainebleau, et à peu près autant d’objets en cadeau pour la reine d'Angleterre. 

Ces derniers sont pour la plupart au British Museum.

Les grandes puissances se sont partagé la Chine comme on le voit dans cette caricature de l'époque!






 D’autre part, on peut considérer cela comme salutaire, si l'on pense à toutes les guerres et révolutions qui ont suivi.

 Sinon peut être que tous ces artéfacts auraient été depuis longtemps... un tas de cendres.

 (P.S. étant moi-même émerveillée par la pertinence des propos que j'ai tenus dans mon journal en 1979, je vais rajouter quelques informations récentes qui démontrent que j’avais raison : En 2001, le gouvernement chinois a instauré une journée commémorative "Journée nationale de l'humiliation" célébrée chaque année le troisième samedi de septembre. Cette journée est associée à ce que les Chinois appellent le siècle de l’humiliation nationale, qui a commencé pendant la première guerre de l'opium en 1839, lorsque l'Angleterre a envahi le sud de la Chine, s'est poursuivie tout au long du 19e siècle et jusqu'au début du 20e siècle, lorsque l'État chinois a été forcée de conclure des traités défavorables avec des puissances étrangères agressives, elle a culminé avec les atrocités commises par le Japon en Mandchourie dans les années 1930 et perpétuées pendant la Seconde Guerre mondiale, et s'est achevée avec la libération de la Chine des troupes étrangères et avec la victoire des communistes chinois qui ont proclamé la République populaire de Chine en 1949. 

Cette journée est considérée comme la "Journée de l'éducation à la défense nationale" et est célébrée sous des slogans tels que "N'oubliez jamais l'humiliation nationale, renforcez notre défense nationale!

Ceci étant dit, à la place des occidentaux je réfléchirais à deux fois avant d'attaquer la Chine !

 Et en parlant des objets volés au palais d'été, il est intéressant de savoir ce qu'il est advenu des deux bronzes mis en vente par Pierre Bergé en 2009 chez Christie's et finalement restitués à l'État chinois par... François-Henri Pinault (https:// www.lefigaro.fr/culture/encheres/2013/04/26/03016-20130426ARTFIG00655-la-france-restitue-des-tresors-a-la-chine.php )

 Une fois la visite de l’exposition Zhou Enlai terminée, en sortant dehors, j'ai essayé d'expliquer au traducteur que je le remerciais d'avoir accepté de m'accompagner au musée et de l'assurer que moi aussi j'étais impressionnée autant que lui par ma visite. 

Bien que le responsable du stage ait voulu me conduire à l'hôtel de l'ambassade, j'ai catégoriquement refusé, les assurant que je pouvais me débrouiller seule et en prétextant un rendez-vous avec mes collègues à l'hôtel Pékin où j’allais partir aussitôt à pieds. 

Ce que j'ai fait ! 

Conclusion : ils sont très gentils et au final, malgré la fatigue et le rhume, je me sens merveilleusement bien ! 

Évidemment, nous, les Roumains, nous avons en ce moment une relation privilégiée avec le "peuple chinois ami", mais je ne m'attendais pas à une telle gentillesse : quand ils ont vu que j'avais un rhume, ils m'ont donné des médicaments homéopathiques (du moins c'est ce que je crois : quelques petites granules noires, qui se prennent par 5 chaque fois) très efficaces, en plus ils m'ont prêté une sorte de manteau matelassé pour me protéger du froid qui a subitement frappé Pékin. 

Le Dimanche, comme je l'ai déjà dit, ils nous ont organisé une excursion aux Collines Parfumées et au Palais d'Eté, c'est-à-dire au "jardin" Xiangshan et au nouveau "jardin" Qingyi. 

Pour l'histoire de ces jardins, puisque nous bénéficions désormais de l'abondance d'informations sur Internet, je dirais qu'il vaut mieux se fier au wikipedia chinois : https://zh.wikipedia.org/zh-hant/%E9% A2%90 %E5%92%8C%E5%9B%AD, .

Pour ma part, j'ai commencé la journée de visite par les Collines Parfumées, lesquelles effectivement ne semblent pas être parfumées, en tout cas, quand je les ai visitées elles n'étaient pas parfumées : il semblerait que leur nom provienne de deux rochers, situés au point culminant de la colline, Incense Burner Peak, à 547m, et qui, vus sous un certain angle, ressemblent à un encensoir à trois pattes. 

Peut-être, même si je pense que le nom vient plutôt de l'odeur des fleurs d'abricotiers printanières, nombreux dans cet immense parc qui couvre la colline.

 De toute façon, pour les rochers je n'ai aucun moyen de vérifier: j'arrive généralement à recréer virtuellement les trajets, en identifiant avec le service street view de google les endroits par où je suis passée, mais pour la Chine et surtout pour le palais d'été et les collines parfumées, la mission est impossible.

 Google ne propose déjà pas le service street view pour la Chine, mais en plus, même avec les images satellites de google map, à cause des nombreuses constructions et autoroutes qui sont apparues entre-temps, il est quasiment impossible de se retrouver. 

Par exemple, pour cette visite, si j'essaie de suivre avec google.map l'itinéraire que je connais très bien, le temps nécessaire pour parcourir les distances respectives dépasse rapidement le nombre d'heures en une seule journée. 

Et pourtant, mon journal est explicite et le chemin parcouru, même s'il me paraissait assez fatigant à l'époque, ne me semblait pas aussi long et difficile que le chemin indiqué aujourd’hui par google map.

 Mais il ne sert à rien d'insister là-dessus. Je vais essayer de retranscrire le plus fidèlement possible ce que j'ai écrit par le passé. Plus précisément, parce que la plupart du temps, les noms des pavillons et des temples que nous avons visités ne sont pas enregistrés dans le journal : peut-être que nos guides, les interprètes des centres informatiques où nous travaillions, ne nous l'ont même pas dit, pour la simple raison qu’ils ne les savaient pas non plus. 

Quant aux panneaux et autres documents qui les décrivaient, je ne me souviens pas de les avoir vus.

 Ainsi, dans mon journal la visite commence par la phrase "j'ai vu une statue de Bouddha endormie", donc évidemment avec le Temple Bouddhiste du ce que s’appelle maintenant le jardin botanique, Wofoso, où depuis plus de six siècles se trouve une énorme statue en bronze de Bouddha endormi, 5,2 mètres et pesant 2,5 tonnes. 

Nous avons continué avec le Temple des Nuages d'Azur, aka le temple bouddhiste Biyun, transformé en musée, où nous avons visité un à un ce qui valait le détour vu l’état des reastaurations, à commencer par le musée de Sun Yat Sen, le fondateur du Kuomintang et le premier président de la République de Chine et en continuant avec la salle des Arhats, un bâtiment où, selon la tradition bouddhiste, sont exposées les statues en bois doré des cinq cents arhats, ainsi que 11 statues des principaux bodhisattvas du bouddhisme chinois et une statue de Ji Gong (un célèbre moine bouddhiste) , chaque sculpture représentant une personnalité différente et, selon la tradition, pas forcément charmante.

 Nous avons traversé le pont sur le lac Yanjing (lac de lunettes : le pont traverse deux lacs ronds de sorte que lorsque l'eau reflète la lumière du soleil, les lacs jumeaux ressemblent à des lunettes), puis nous avons visité "Le parc intérieur des Collines Parfumées »", un magnifique petit jardin de style Jiangnan créé pendant la dynastie Ming, un jardin d’eau et des montagnes qui reproduit en miniature un paysage naturel, avec un lac en forme de cœur entouré de pavillons et de couloirs qui invitent à la méditation. http://french.china.org.cn/french/fr-sz/jtnr.htm

Nous continuons avec le Temple Lumineux (Zhao Miao), un complexe tibétain, malheureusement incendié par les Occidentaux en 1900 et pas encore restauré.

 Restant indemnes seulement la Tour Liúlí tǎ (ou pagode aux clochettes), couverte de grès émaillés, un gracieux édifice octogonal, à sept étages et avec des cloches dans tous les coins et la majestueuse porte, elle aussi couverte de grès émaillés, Zongjing Dazhao Zhimiao. 

Nous quittons le parc Xiangshan (des Collines Parfumées) par la deuxième porte de l’est en direction du palais d'été, ou, plutôt, vers le nouvel parc Yíhéyuán, ou encore, le jardin de l'harmonie préservée.

 Le parc, inspiré des jardins de style Jiangan du sud de la Chine, s'appuie sur un paysage qui semble naturel même s'il est construit artificiellement : un lac agrandi, de la terre excavée utilisée pour créer une montagne, etc. 

L’eau, les plantes, les arbres, les rochers, les statues et les pavillons répartis sur près de 300 hectares, se complètent harmonieusement créant une nature raffinée, sous forme de tableaux soigneusement composés, avec des lieux spécialement aménagés pour la contemplation ou la méditation.

 Ici le jardinage, si l'on peut parler de jardinage, devient vraiment de l'art !

 Et les noms de ces pavillons, « Salle de la Joie et de la Longévité », « Palais de la Bonne Volonté et de la Longévité » « Palais de la Joie et de la Longévité », (Leshou)… m'ont rappelé les slogans maoïstes : « Cent fleurs à fleurir, une centaine d'écoles à concourir !"...

 http://domi5282.canalblog.com/archives/2007/07/20/5761749.html

 Comme je l'ai dit plus haut, je regrette de ne pas avoir eu un appareil photo. Mais maintenant, je peux regarder des films et des photos sur Internet qui me rappellent l'admiration avec laquelle je regardais, impressionnée, marchant la bouche ouverte d'un pavillon à l'autre... 

Par exemple, à cette adresse j'ai trouvé une description détaillée, accompagné de très belles photos : https://travel-gourmand.com/2018/12/23/summer-palace-beijing-part-1/ 

Dans mon journal de 1979 je notais seulement mon admiration pour les différents pavillons et les objets exposés à l'intérieur et surtout l'admiration, je dirais même enthousiaste, pour le merveilleux jardin Xiéqù, des plaisirs harmonieux (谇趣园; 諧趣園; ), le Jardin des jardins, l’apogé d’un jardin Jiangan dans un parc Jiangan. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jardin_chinois 

 Ou pour la tour bouddhiste de l'encens » (Foxiangge), un bâtiment octogonal magnifiquement coloré, le plus haut du parc, sur les marches de laquelle nous avions eu une perspective plus large du paysage autour du lac de Kunming. 

A côté, à quelques mètres seulement, se trouvait le temple "Mer de la Sagesse" 智慧海; Zhìhuìhǎi, recouvert de tuiles vernissées de cinq couleurs et de plus de 1 000 statues de Bouddha, dont beaucoup ont eu la tête brisée pendant la Révolution culturelle, par les zélés défenseurs du communisme ...

 Enfin, nous sommes descendus à la galerie couverte, au pied de la colline (artificielle) de Wanshou, décorée de plus de 14 000 peintures représentant des paysages chinois célèbres ou des scènes de la mythologie et du folklore chinois. 

Une galerie construite pour satisfaire le désir de l'impératrice Cixi de se promener autour du lac, quelle que soit la météo. A la grande horreur du traducteur qui nous accompagnait maintenant, Monsieur (ou est-ce toujours le camarade ?) Li, je suis montée sur le fameux navire (on ne savait pas s'il était assez solide ou pas et en tout cas je ne peux pas dire qu’il me plaisait), après quoi, moi, seule, avec les autres Chinois, parce que mes Roumains étaient déjà trop fatigués ou peut-être simplement pas intéressés, j'ai couru jusqu'au pont aux 17 arches que j'ai traversé pour voir les palais de l'île et surtout la vue (magnifique) sur l'ensemble. 



Tout ce que je voyais m'apparaissait d'une beauté époustouflante, même si, parce que j'étais en 1979, non seulement certains pagodes et pavillons n'étaient pas encore restaurés, donc pas visitables, mais en plus  on pouvait encore voir ici et là les stigmates de la "révolution culturelle", comme les têtes brisées des Bouddhas émaillées, incrustées sur le mur extérieur du Pavillon appelé "La Mer de la Sagesse" (Zhìhuìhǎi), sagesse qui ne l'a évidemment pas aidé du tout !

 hhttp://domi5282.canalblog.com/archives/2007/07/20/5761749.htm 

Je ne peux pas m'empêcher de dire encore une fois "quelle chance extraordinaire j'ai eue" ! 

Encore plus quand je vois maintenant les images sur internet, avec l'immense foule de visiteurs qui se bousculent dans les différents cours, terrasses ou allées...

 A l’époque nous étions très peu nombreux dans ces lieux... en fait, je ne me souviens pas d’avoir rencontré d'autres touristes et même les Chinois n’affluaient pas pour les visiter... 

Et, en supplément, les discussions avec Li, le traducteur qui ne connaissait pas très bien le français (quelle chance qu’il n'était pas mon traducteur pendant le cours !) mais qui discutait plus que les autres : « votre niveau de vie est meilleur que le nôtre», « chez vous il y a beaucoup de technique", etc. tel qu’on aurait pu croire qu’il nous prendrait pour des Américains, sauf que oui, par comparaison, il avait à l’époque raison. 

Ou encore : "il y a un palais comme celui-ci en Roumanie" ? 

Alors qu'en fait il aurait pu se demander s'il y a un autre palais comme celui-ci dans le monde entier et peut-être après se répondre lui-même !

 Quant à la technique, ou le niveau de vie, quoi dire maintenant, hein ?!... 

 Par contre, les discussions avec mon traducteur, Luō yǒng chéng, (罗运成) sont absolument fantastiques. Surtout après avoir visité ensemble le musée Chou En-Lai. 

Lundi, 12 novembre 1979 .

Aujourd'hui, il m'a raconté deux histoires chinoises : le loup et l'intellectuel, puis le loup et le berger.
 (Je ne les ai pas écrites et je ne me souviens plus de quoi il s'agissait, mais maintenant je vois que le totem du loup fait des vagues en Chine. https://www.letemps.ch/culture/totem-loup-livre-fascine-chine)

 J'ai essayé à mon tour de traduire pour lui la fable "le petit chien et le molosse" de Grigore Alexandrescu, ou "le renard et le corbeau" de La Fontaine, etc... 

Demain je prévois  lui apporter "L'Histoire de la Phénicie", pour qu'il puisse la comparer avec l'histoire de la Chine.

 Sa conclusion "Professeur, les fichiers, tout ça, ce n'est pas pour vous, une fille comme vous ne devrait pas tenir de tels cours"... 

Samedi, je lui ai donné les quelques cadeaux symboliques préparés à la maison, au cas où. 

Après les cours, avec les autres collègues et accompagnée de mon interprète, j'ai visité le Temple du Ciel, puis le parc Beihai et la Colline du Charbon.

 Le Temple du Ciel, 天坛 Tiāntán, peut-être l'exemple le plus beau et le plus représentatif de l'architecture rituelle chinoise, a été construit sous le règne de l'Empereur Yongle, le même empereur qui a ordonné la construction de la Cité Interdite et des Tombeaux Ming. 

Contrairement aux autres pagodes et temples visités, c'est un temple taoïste, où les empereurs venaient prier chaque année pour de bonnes récoltes. 

Hier (c'est-à-dire dimanche, le 11 novembre,1979) avec mon traducteur et de manière tout à fait exceptionnelle sans autres compagnons (ce que je pense c’est l'effet de la scène qui a eu lieu lors de la visite du musée d'histoire, visite qui les a déterminé à me faire "confiance") j'ai visité encore une fois le palais d'été, avec son merveilleux jardin Xiéqù, puis le jardin zoologique, le Planétarium et pour finir le parc (Zhongshan) dédié au docteur Sun Yat Sen en 1928, un ensemble de sanctuaires et de temples, dont un beau pavillon où sont conservées huit tablettes de Lanting, https :// fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9face_au_recueil_du_pavillon_des_Orchid%C3%A9es https://en.wikipedia.org/wiki/Orchid_Pavilion_Gathering 

L'ambition déclarée du traducteur était que je sois, parmi les "professeurs" roumains, celle qui a visité le plus d'attractions touristiques à Pékin. 

Pour le reste, ma relation avec ce traducteur était devenue pendant les trois semaines de cours intensifs et de discussions, plus, je le répète, la scène du musée d'histoire, quelque chose qui ressemblait presque à une véritable amitié, dont je me souviens avec plaisir.

 Bien sûr, quand nous étions dans des groupes plus importants, son attention était partagée, pourtant, même dans ces cas-là, il demandait toujours mon avis, me prenait en photo, en sachant que je n’ai pas d’appareil…etc...

 Mais les scènes d'anthologie se sont passées ce dimanche pendant que nous étions seulement tous les deux en excursions.

 Déjà, c’était quelque chose d'inhabituel même pour nous. 

Pour preuve, nous étions très mal à l'aise tous les deux… 

Mais en plus ils y avaient aussi les regards étonnés des chinois rencontrés partout. 

 En tout cas, je soupçonne que mon traducteur avait une sorte d'approbation, car il ne semblait pas avoir peur. Et je dis ça à cause de ma propre expérience en Roumanie avant 1989 : quand je voulais accompagner un partenaire de travail étranger, je devais faire une demande écrite et avoir l'accord de ma direction. Il est vrai qu'il m'est arrivé de violer ce protocole et je peux dire que je n’ai pas eu des problèmes par la suite. Et d'ailleurs, j'ai toujours cru qu'à partir d'un certain niveau d'information, l'information se perd : aucun État ne peut avoir le nombre de fonctionnaires nécessaires pour analyser toutes les informations qu’il détient. 

Pour revenir à l'excursion de dimanche, comme je l'ai dit, les Chinois que nous avons rencontrés, lorsqu'ils nous voyaient, restaient bloqués, parfois littéralement bouche bée, pas habitués à ce spectacle: un seul Chinois accompagnant une étrangère. 

Des scènes qui ont beaucoup amusé mon traducteur, ce qui me fait croire qu'il était fier, mais aussi qu’il avait l'approbation de ses supérieurs...

 En plus, il m'avait apporté cet énorme manteau matelassé, car il faisait déjà très froid, donc je trouve qu'on était bizarres aussi! Surtout moi, pardi !

 Pour le petit-déjeuner du voyage, cette fois n'ayant pas la fameuse Toyota à notre disposition, j'ai porté les deux bouteilles de jus dans mon sac et lui a emporté les deux cartons de nourriture. Donc taches partagées. 

Sinon, nous avons discuté tout le temps: de lui, de nous et de nos vies, de l'histoire, de la littérature, de la philosophie... 

Plus les visites. Tout d'abord, le zoo, impressionnant, immense, d'une superficie de 90 hectares dont 5,6 hectares de lacs et d’étangs et plus de 30 grandes salles d'exposition. 

Bien sûr, je ne les ai pas toutes visités : je suis resté fascinée pendant quelques minutes devant la multitude de singes jouant sur la Montagne des Singes, montagne réalisée avec la perfection chinoise habituelle, puis j'ai admiré, comme tous les Roumains, l'attraction principale du jardin, les fameux pandas. 

J’ai vu aussi des grands animaux marines, dont des lamantins pour la première fois... 

 Nous avons ensuite traversé la rue jusqu'au Planétarium, où j'ai assisté à un spectacle superbe et totalement inédit pour moi... quant au Parc Zhongshan, j'avoue que j'étais déjà fatiguée et que je ne me souviens pas grand-chose...

 Mardi 13 novembre 1979 

Hier je n'avais plus le choix : il fallait que je dépense mes derniers yuans, donc je devais aller faire des courses. 

Même si j'aurais préféré y aller seule, d'autant plus que je savais ce que je voulais et que je n'avais pas besoin d'aide, le translateur a tellement insisté pour venir avec moi « pour m'aider » que je n'ai pas pu refuser. 

 Donc nous voilà « faire les magasins ». 

Moi achetant un vase en laque, qu'il a d'ailleurs choisi pour moi, m'expliquant quelle était sa valeur et surtout qu’il était inspiré pratiquement de mon autre achat, à savoir les deux tomes, édités pour la première fois en langue anglaise, du roman "Le Rêve du Pavillon Rouge", c’est-à-dire le plus récent des quatre grands chefs d’œuvres de la littérature classique chinoise, qui a été écrit par Cao Xueqin au 18ème siècle. 




En même temps, il en a profité pour s’acheter un nouvel manteau matelassé, lequel en parenthèse soit dit coûtait moins cher que le vase que j'avais acheté. 

Encore aujourd'hui, avant mon départ vers la Roumanie, il a exclamé "Professeure, vous avez un programme particulier : vous allez venir avec moi pour faire le reste du film" et par conséquent nous avons visité ensemble, en courant, le temple des ancêtres impériaux, puis nous avons traversé l’avenue jusqu'à la statue des héros devant le mausolée, pour finir les dernières photos.. 



Après quoi nous sommes allés au banquet d’adieu, où le point culminant a été le discours de mon coursant me remerciant par de mots dithyrambiques pour mon travail, enfin, dithyrambiques quand le discours a été traduit par mon interprète, certainement avec beaucoup de fioritures ajoutés, ce qui a fini par susciter les moqueries des autres collègues roumains. 

Et la scène dans la voiture qui nous amenait à l’aéroport, quand il a quitté son siège de devant pour venir à côté de moi, très ému « professeure … » Je dois reconnaitre qu’à mon tour j’étais aussi émue que lui… 

Et la scène à l’aéroport qui a ému après tout le monde, y inclus le directeur d’IIRUC, le feu M. Meghesan, un homme haut comme une armoire… 

Je m’explique : un de nos collègues roumain, une fois arrivé en Roumanie, a acheté une grande poupée qui disait mama etc… et l’a envoyé par l’intermède d’un autre collègue en Chine, pour la donnée en  cadeau à la fillette d’un ingénieur chinois. Le collègue chargé du courrier, à la première occasion, quand il a rencontré l’ingénieur chinois lui a donné en catimini un petit message dans lequel il lui disait qu’il a la poupée pour sa fillette. Un peu plus tard le Chinois est revenu avec un billet dans lequel il lui donnait rendez-vous à l’aéroport pour recevoir là le cadeau. Toujours dans le plus le grand secret, car on supposait que de telles relations étaient strictement interdites !

 Une fois à l’aéroport, le Roumain a donné la boite avec la poupée à la fillette qui accompagnait son papa et la fillette, du haut de ses, disons, 5 ans, a commencé à défaire l’emballage, curieuse de voir ce qu’était dedans.

 Je ne vous dis pas l’émotion et l’émerveillement qui l’a submergé quand elle a vu la poupée ! 

Elle l’a pris dans ses bras et elle a couru dans tout l’aéroport pour montrer à tout le monde son trésor !

 Tu parles d’un secret ! 

Pour finir, la conclusion de cette visite : extraordinaire ! 

Absolument incroyable! 

Je n'oublierai jamais ce que cette période de trois semaines en Chine a représenté pour moi. 

Et pourtant: je n'ai pas compris ce que je voulais comprendre ! 

À savoir, par quelles distorsions psychologiques les principes maoïstes, énoncés dans des phrases tordues qui utilisent des métaphores traditionnelles moyenâgeuses, ont pu conduire aux excès et aux tragédies du "Grand Bond en avant" et de la "Révolution culturelle", entraînant la destruction presque totale du pays et des millions de morts ! 

"Que cent fleurs s'épanouissent, que le nouveau émerge de l'ancien". 

"Que cent fleurs s'épanouissent, que l'ancien serve l'actuel", 

"Que cent fleurs s'épanouissent, que l'étranger serve le national" ...

 Non, définitif et irrévocable, je ne comprends pas! Beaucoup plus approprié et mobilisateur, du moins pour les Chinois que j'ai rencontrés, me semble le slogan actuel : « Qualité, quantité, économie » ! 

24 novembre 1979, BUCURESTI 

J'ai plongé immédiatement dans l'ambiance de mon quotidien habituel. 

Tellement vite que je n'arrive même plus à croire que je suis allée en Chine : réunion du parti, mobilisation pour balayer les feuilles tombées sur le boulevard des Aviateurs, mobilisation pour le meeting, plus la participation au meeting organisé à l'occasion du 12ème Congrès du PCR et maintenant O.S. , c’est-à-dire, c'est samedi, 15.18' 50'' et je suis Officier de Service à l'institut. 

Je ressens le besoin de tout raconter, pour retenir au moins pour moi-même mes impressions, les autres collègues et/ou amis n'étant évidemment pas trop intéressés. 

Je suis partie d'ici avec beaucoup de préjugés, mais maintenant je ne sais plus quoi croire : je vois seulement que ceux qui n'ont jamais visité la Chine savent mieux que moi ce qu'il y a là-bas !

 Bien sûr, j'ai peur moi aussi, leur nombre étant quand même un peu effrayant.

 Mais surtout, après cette visite, je les sens très proches et j’ai beaucoup de sympathie pour eux. 

 Je suis déjà allé en RDA et en Hongrie et je ne suis jamais revenu aussi enthousiasmée, je n'ai trouvé ni l'un ni l'autre de ces peuples si hospitalier et gentil, je ne me suis lié d'amitié avec personne dans aucun de ces pays, bien que, Dieu merci, tous les gens que j’y ai rencontré étaient jeunes, de mon âge et très gentils ! 

Vendredi 30 novembre 1979, BUCURESTI

 Je n'ai pas ni le temps et ni l’envie d'écrire. 

Et pourtant, si je n'écris pas, je risque de tout oublier !

 Je vois déjà comment les préjugés recommencent à me dominer, je n'arrive plus à distinguer ce qui est réel et ce qui est conjoncturel, juste pour le plaisir d’une réplique « intelligente » dans une conversation! 

 Mais au moins pour moi, je dois écrire, essayer d'être objective, pour ne pas oublier. 

Premièrement, chez eux, comme chez tous les peuples, il faut faire la différence entre le général et le particulier, entre la nation et l'individu. 

Avec autant de centaines de millions (combien, après tout ?) il est normal de rencontrer à la fois des laids et des beaux, des intelliges et des stupides, des cruels et des gentils, des bien élevés et des vulgaires etc...

En plus, il ne faut pas oublier qu’ils ont un système de valeurs différent du nôtre, une façon de penser différente, qui n'est déjà pas basée, comme la nôtre, sur la logique syllogistique héritée des Grecs.

 Et pourtant, au final, ils sont aussi des êtres humains comme tous les autres êtres humains. 

En tout cas, plus proches de nous, il me semble, que les Pakistanais, par exemple. 

Que j'avais peur d'entrer seule dans certains quartiers, bien sûr, mais c'est aussi la faute de la situation locale et, après tout, même à Bucarest, j'ai tout aussi peur parfois. 

Et peut-être que ma peur à Pékin, malgré les conseils que j'ai reçus à l’ambassade, était moins justifiée qu'à Bucarest, dans des quartiers comme Ferentari, par exemple.

 Quoi qu'il en soit, c'était un sentiment, un soupçon, quelque chose qui avait peut-être plus à voir avec ma propre nature qu'avec des faits réels. 

Bien sûr, je ne dis pas qu'ils sont des saints, certains d'entre eux avaient des visages très douteux et par principe il ne faut pas donner aux gens l'occasion de vous faire du mal !

 Quand je montais seule dans les bus, par exemple, la façon dont on me regardait, parfois même on me bousculait, (waouh, l'affluence inimaginable dans les bus à Pékin ! Après tout, eux aussi voulaient monter dans le bus, pourquoi se seraient-ils souciés de moi ?) le fait que l'incommunicabilité (la population ne connaît pas d'autres langues) m'empêchait d'influer de quelque manière que ce soit sur les situations qui auraient pu survenir, tout cela me faisait peur : je restais sage et un peu effrayée dans mon coin, prenant soin à ne déranger personne, à ne pas offrir des occasions de scandale, mais, encore une fois, peut-être que ma propre nature etait en cause, peut-être alors, comme toujours et partout, je me projetais sur les autres, les jugeant selon des critères qui sont en fait les nôtres. 

Quoi qu'il en soit, parfois j'étais carrément bousculée, mais d’autres fois on m'a donné la place de leur propre initiative, sans l'intervention du traducteur ou des contrôleurs

A propos, dans leurs bus il y a des contrôleurs de tickets à chaque porte ! 

J'ai souvent ressenti à la fois la sympathie générale et une froideur générale, cette incompatibilité fondamentale et dure, ce "après tout, pourquoi est-ce qu'on s’occupera de toi" ou peut-être même pire, "qu'est-ce que tu fous ici ? Rentre chez toi!" 

J'ai souvent eu l'impression d'être vraiment « ami » avec mon traducteur, pour ressentir immédiatement une distance infranchissable, une ironie inattendue ou une ruse qui me faisaient récapituler rapidement dans ma tête tous mes propos des dernières semaines ! Et pourtant, une chaleur et une proximité rarement ressenties ici, dans mon pays, une amitié ineffable et sans sous-entendus, qui (et je n'exagère pas du tout et je ne fais pas de la littérature) n'était pas seulement l'amitié entre moi et mon traducteur, mais en quelque sorte aussi l'amitié entre le peuple roumain et le peuple chinois...

 Il y avait aussi un petit système d'intérêts, qui m'a quelque peu déçu, me rappelant le comportement des guides roumains envers les étrangers, mais en même temps ils m'ont trouvé compréhensive et finalement compatissante... 

Parce que ce n’est pas vrai que les choses matériels, les objets, ne les intéressent pas. 

Les costumes uniformes de Mao, que tout le monde portait, ne signifiaient pas que les hommes nouveaux qu’il voulait créer, désintéressés et parfaitement égaux les uns aux autres, sans vouloir se différentier, était déjà là ! 

Peut-être que les objets ne les intéressaient pas, mais mon traducteur est entré avec une évidente craint et une encore plus évidente curiosité dans la partie réservée aux étrangers du magasin de porcelaines de la rue que les Roumains appelaient le Petit Paris. Et preuve que c’était seulement de la curiosité, quand je suis sortie un moment, il m’a suivi et quand je suis entrée de nouveau, il n’est plus entré avec moi, mais il est resté dehors à m’attendre.

 De même, il avait peur et a même demandé au portier s'il était autorisé à m'accompagner, à la boutique pour étrangers de Wang Fu Cing et au Friendship, lui, qui était plein d'aplomb et se vantait que, "contrairement à d'autres interprètes non inexpérimentés", il se débrouille ! 

 Il avait un drôle de visage quand il voyait ce que j’achetais et je n'oublierai jamais comment il s'est soudainement arrêté dans l'escalier du Friendship pour me dire « ah, mais j'ai encore deux rangées de vêtements et plusieurs paires de chaussures à mon bureau, mais je n'ai pas le temps d'aller les chercher ». 

Et le fait que je lui ai répété que dans mon pays je n'avais pas les moyens d'acheter ce que j'achetais ici, n'a pas eu l'air de le tranquilliser ! 

Bien que, quelque part, il aurait aimé me voir acheter plus, il aurait été fier vis -à vis des vendeurs, par exemple, si j'avais acheté plus de porcelaines et le fait que je n'ai pas acheté parce que je n'avais pas assez d'argent semblait le décevoir.. 

Je raconte tout ça pour montrer que toute cette philosophie taôiste – bouddhiste etc… c’est comme le christianisme : il y a quelques-uns, certainement qui se désintéressent des choses matériels, mais la grande majorité… 

Quant à l’idéal communiste du chacun conformément à ses besoins etc… ça reste un … idéal…

 Comme le Paradis, ou la Nirvana…

 Il était intéressé certainement par toutes ces choses et peut-être que le contact avec moi l'a vraiment influencé aussi, ce qui me surprend et m'attriste, car je comprends qu'il envie les Américains, mais pas moi, qui viens d'un pays communiste à peu près aussi pauvre que le sien... 

Et après tout, s'il est allé en France, s'il est allé en Afrique, comme il l’affirmait, il aurait pu être différent quand même. Est ce qu’il est allé? 

 Je crois tout et en même temps je doute de tout ce qu'il m'a dit. 

En général, il est difficile de déchiffrer ce que pensent vraiment les Chinois. 

Ils sont polis, ils sourient, ils vous approuvent, et soudain vous constatez qu'en fait ils ne vous ont même pas écouté. 

Quant à Lo, bien que plein d'humour et vraiment intelligent, des fois on aurait dit que je devais lui expliquer certaines blagues et plusieurs fois j'ai trouvé qu'il a une pensé assez limitée et qu'il ne sait pas grand-chose de ce qui se passe dans le reste du monde... 

Ou peut-être que c'est comme ça qu'il voulait paraître ?... 

Il enjolivait toutes les phrases, mais la plupart du temps c'était de l'ironie, pas de la naïveté. 

Lui-même a dit qu'il est un « rigolo » et qu'ainsi il espère rester jeune toute sa vie et vivre longtemps.

 D'ailleurs, il plaisantait toujours et je le soupçonnais souvent de se moquer de moi. 

A tel point que lorsqu’il m'a dit que sa femme était morte, je ne l'ai pas cru. Et pourtant, il semble qu'elle était vraiment décédée et qu'il ait épousé sa sœur pour élever ses enfants. (deux: je n'ai rencontré aucun Chinois qui n'ait pas eu deux enfants).

 Sa femme était à Nanjing et il avait récemment reçu l'autorisation de l'amener à Pékin pour l’année prochaine.

 Il disait en rigolant à un de mes collègues qu'il faisait l'amour "par avion".

 Mais il ne plaisantait qu'en public. Quand nous étions tous les deux, il ne plaisantait pas du tout. 

Il était vraiment tendu et ému.

 À un moment donné, il m'a même dit qu'il me considérait comme sa sœur.

 Bref! Nous étions tellement "bons amis" qu'au dîner officiel, où plusieurs collègues étaient présents, dont le directeur d'IIRUC, Meghesan, j'ai pu me permettre de lui dire que je n'aime pas certains types d'aliments, après quoi il les prendrait de mon assiette et les mettait dans la sienne.

 Ou alors, quand il s'est levé et a dit que lui, qu’il ne boit jamais, même pas de la bière, mais qu’il partagera un verre de vin avec moi pour que nous devenions frères (coutume chinoise ?).

 Ou en partant, quand il m'a demandé "quand est-ce que vous arrivez à Bucarest?" "Je ne prendrai pas de petit-déjeuner d'ici là : c'est comme ça qu'on fait chez nous. Lorsqu'un parent part en voyage, les autres ne mangent pas jusqu'à ce qu'il atteigne sa destination". 

Étaient ses fioritures habituelles ? Ou était-il sincère, parce que j'étais aussi sincère, impressionnée que j'étais par tout ce que j'avais vu, par leur comportement, par les Chinois que j'avais rencontrés ? 

Et après tout, moi et ma sensibilité connue et reconnue ! Pff... 

J'ai analysé et j'en suis venu à la conclusion qu'il avait été influencé par la visite du musée d'histoire et le fait que j'ai commencé à pleurer quand je les ai vus pleurer ! 

Ceci dit, pour conclure, ils sont sympathiques, hospitaliers, ils ont une sorte de candeur, mais ce n'est pas tout ! 

Ils sont aussi tenaces, intelligents, ils sont nombreux et même si leur nombre ne doit pas nous faire peur pour le moment (pour le moment ils ne représentent pas une force) en tout cas c'est une erreur de les ignorer ou de les regarder avec supériorité et de les mépriser.

 Personnellement, en ce qui concerne le célèbre mur de la démocratie de la rue Xidan, où les Chinois collent leurs opinions politiques, il me semble une erreur qu'on leur donne cette soi-disant liberté. 

La démocratie n’est pas la liberté sans limites.

Et l'anarchie, qui peut être engendrée par trop de liberté, (dans un nombre comme celui-ci me paraît inévitable) l'anarchie dis-je, me fait plus peur que les contraints en tout genre (sauf les goulags, of course !).

 Des petits trafiquants que j'ai déjà remarqués par-ci par-là, même si pas nombreux, les baisers en public (eux, qui ne savaient même pas nous dire la traduction du mot "amour" en chinois !), toute cette rapide „evolution” me fait penser à une possible recrudescence de la criminalité. 

Quoi que, finalement, ce mur, je doute qu'il signifie grand-chose.

 Leur démocratie n'est évidemment qu'apparente. Ça ne pouvait pas en être autrement !

 (P.-S. le mur a duré encore un mois et c’était fini „Le mouvement sera réprimé et le 6 décembre 1979, le mur de la Démocratie sera exilé dans le quartier de Chaoyang, loin à l'est, au parc Ritan (日坛公园), parc public fermé et payant qui permettait un contrôle facile de la fréquentation. ») 

 Pour le reste, bien sûr, je ne peux pas dire que je sais maintenant tout sur eux, tous mes jugements me semblent déjà erronés à un moment donné.

Ce que je sais, c'est que je me sentais incroyablement bien, je m'intéressais à tout, les rues, les monuments, les gens, que je me sentais protégée, entourée de leur attention, que je me sentais chez moi!

 Même si les cours me fatiguaient, (souvent des heures d'affilée sans pause), même si j'étais ennuyée par leurs questions (parfois puériles), même si j'étais enrhumée, tout me rendait heureuse à la fin et j'ai vécu toute cette expérience intensément ! 

Cela dit, je constate quand même que de notre point de vue ce sont des gens étranges, avec des habitudes étranges : éructations, crachats, etc... en plus il me semble qu’ils sont des gens cachés, qui ne montrent pas ce qu’ils pensent, je dirais même rusés... 

 Mais ce sont avant tout des gens besogneux, la plupart d'entre eux vivant dans des conditions horribles, qu’on ne peut pas croire qu'ils aiment, même s'ils y sont habitués, même si beaucoup ne s'en rendent même pas compte. 

Mais qu'arrivera-t-il quand ils s'en rendront compte? Que va-t-il se passer lorsque chacun voudra vivre différemment, comme les occidentaux? 

Et à l’évidence ils ont peur. Peur des patrons, peur les uns des autres. 

Ting, leur chef de cours à Bucarest, à Pékin était habillé comme tout le monde, la mode Mao. Où étaient ses costumes impeccables et ses pulls en cachemire ? 

Et puis, leur CC, avec les maisons des chefs, qui se trouve dans une aile du palais impérial, entourée de jardins et de murs: nos collègues qui travaillent au centre informatique de l'académie disaient qu'ils traversaient tous les jours le quartier résidentiel et que, par comparaison, celui de Bucarest est insignifiant ! 

Comme quoi...
Chine 1983 Chine en 1983..